Président de la Société des gens de lettres
1839-1840
Biographie
Naissance
20 mai 1799; Tours (Première République française)
Décès
18 août 1850 (à 51 ans)
Ancien 1er arrondissement de Paris
Nationalité française
Formation
Lycée Charlemagne (1814-1816)
Université de Paris (à partir de 1816)
Faculté de droit de Paris (4 novembre 1816 - 4 janvier 1819)
Activité
Romancier
Journaliste
Imprimeur
Critique littéraire à partir de 1829
Père
Bernard-François Balzac
Mère
Anne-Charlotte-Laure Sallambier
Fratrie
Laure Surville
Conjoint
Ewelina Hańska (à partir de 1850)
Enfant
Marie-Caroline du Fresnay
Mouvement
Réalisme visionnaire
Maîtres
François Guizot, Abel-François Villemain, Victor Cousin
Influencé par :
Walter Scott, Buffon
Adjectifs dérivés
« Balzacien »
Distinction
Chevalier de la Légion d'honneur
Chevalier de la Légion d'honneur (1845)
Œuvres principales
- La Comédie humaine (cycle romanesque) (1831-1850)
- Les Chouans, 1829
- La Peau de chagrin, 1831
- Eugénie Grandet, 1833
- Le Père Goriot, 1835
- Le Colonel Chabert, 1835
- Le Lys dans la vallée, 1836
- La Rabouilleuse, 1842
- Illusions perdues, 1837-1843
- Splendeurs et misères des courtisanes, 1838-1846
- La Cousine Bette, 1846
Honoré de Balzac, né Honoré Balzac le 20 mai 1799 (1er prairial an VII du calendrier républicain) à Tours et mort le 18 août 1850 à Paris, est un écrivain français. Romancier, dramaturge, critique littéraire, critique d'art, essayiste, journaliste et imprimeur, il a laissé l'une des plus imposantes œuvres romanesques de la littérature française, avec plus de quatre-vingt-dix romans et nouvelles parus de 1829 à 1855, réunis sous le titre de La Comédie humaine. À cela s'ajoutent Les Cent Contes drolatiques, ainsi que des romans de jeunesse publiés sous des pseudonymes et quelque vingt-cinq œuvres ébauchées.
Il est un maître du roman français, dont il a abordé plusieurs genres, du roman philosophique avec Le Chef-d'œuvre inconnu au roman fantastique avec La Peau de chagrin ou encore au roman poétique avec Le Lys dans la vallée. Il a surtout excellé dans la veine du réalisme, avec notamment Le Père Goriot et Eugénie Grandet.
Comme il l'explique dans son avant-propos à La Comédie humaine, il a pour projet d'identifier les « espèces sociales » de son époque, tout comme Buffon avait identifié les espèces zoologiques. Ayant découvert par ses lectures de Walter Scott que le roman pouvait aspirer à une « valeur philosophique », il veut explorer les différentes classes sociales et les individus qui les composent afin d'« écrire l'histoire oubliée par tant d'historiens, celle des mœurs » et de « faire concurrence à l'état civil ».
L'auteur décrit la montée du capitalisme, l'essor de la bourgeoisie face à la noblesse, dans une relation complexe faite de mépris et d'intérêts communs. Intéressé par les êtres qui ont un destin, il crée des personnages plus grands que nature : « Chacun, chez Balzac, même les portières, a du génie » (Baudelaire).
Ses opinions politiques sont ambiguës : s'il affiche des convictions légitimistes en pleine monarchie de Juillet, il s'est auparavant déclaré libéral et défendra les ouvriers en 1840 et en 1848, même s'il ne leur accorde aucune place dans ses romans. Tout en professant des idées conservatrices, il a produit une œuvre admirée par Marx et Engels, et qui invite par certains aspects à l'anarchisme et à la révolte.
Outre sa production littéraire, il a écrit des articles dans les journaux et a dirigé successivement deux revues, qui feront faillite. Convaincu de la haute mission de l'écrivain, qui doit régner par la pensée, il lutte pour le respect des droits d'auteur et contribue à la fondation de la Société des gens de lettres.
Travailleur forcené, fragilisant par ses excès une santé précaire, endetté à la suite d'investissements hasardeux et d'excès somptuaires, fuyant ses créanciers sous de faux noms dans différentes demeures, Balzac a aussi eu de nombreuses liaisons amoureuses avant d'épouser en 1850 la comtesse Hańska, qu'il avait courtisée pendant dix-sept ans. Comme l'argent qu'il gagnait avec sa plume ne suffisait pas à payer ses dettes, il avait sans cesse en tête des projets mirobolants : une imprimerie, un journal, une mine d'argent. C'est dans un palais situé rue Fortunée qu'il meurt profondément endetté au milieu d'un luxe inouï.
Lu et admiré dans toute l'Europe, Balzac a fortement influencé les écrivains de son temps et du siècle suivant. Le roman L'Éducation sentimentale de Gustave Flaubert est directement inspiré du Lys dans la vallée, et Madame Bovary, de La Femme de trente ans[réf. nécessaire]. Le principe du retour de personnages évoluant et se transformant au sein d'un vaste cycle romanesque a notamment inspiré Émile Zola (1840-1902) , Guy de Maupassant (1850-1893) et Marcel Proust (1871-1922). Ses œuvres continuent d'être rééditées. Le cinéma a adapté La Marâtre dès 1906 ; depuis, les adaptations cinématographiques et télévisuelles de cette œuvre immense se sont multipliées, avec plus d'une centaine de films et de téléfilms produits à travers le monde.
Biographie
Enfance et années de formation
Paysage d'hiver, arbres partiellement dénudés, avec une église gothique, chœur avec arcs-boutants toit en ardoise, surmontée d'une flèche pointue recouverte aussi d'ardoises, et un clocher conique en pierre ; au premier plan un bassin d'eau verte.
La Trinité et le clocher Saint-Martin de Vendôme
Honoré de Balzac est le fils de Bernard-François Balssa1 (1746-1829), secrétaire au Conseil du roi, directeur des vivres, adjoint au maire et administrateur de l’hospice de Tours, et d'Anne-Charlotte-Laure Sallambier (1778-1854), issue d'une famille de passementiers du Marais2. Bernard-François Balssa transforma le nom originel de la famille en Balzac, par une démarche faite à Paris entre 1771 et 1783, soit avant la Révolutionn 2. Bernard-François avait trente-deux ans de plus que sa femme, qu'il avait épousée en 1797, alors qu'elle n'avait que 18 ans. Le père de Balzac se dit athée et voltairien, tandis que sa mère est décrite comme « mondaine et amorale3 », s'intéressant aux magnétiseurs et aux illuministes.
Bernard-François est né le 22 juillet 1746 à la Nougayrié, commune de Montirat dans le nord du département du Tarn. Il quittera rapidement le domaine familial, on le retrouve en 1776 secrétaire d'un maître des requêtes du Conseil du Roi.
Né le 20 mai 1799 à 11 h 00 du matin au 25 de la rue de l'Armée d'Italie, Honoré est mis en nourrice immédiatement et ne regagnera la maison familiale qu'au début de 1803. Cet épisode de la première enfance lui donnera le sentiment d'avoir été délaissé et ignoré par sa mère, tout comme le sera le personnage de Félix de Vandenesse, son « double » du Lys dans la vallée. Il est l’aîné des quatre enfants du couple (Honoré, Laure, Laurence et Henri). Sa sœur Laure, de seize mois sa cadette, est de loin sa préférée : il y a entre eux une complicité et une affection réciproque qui ne se démentiront jamais. Elle lui apportera son soutien à de nombreuses reprises : elle écrit avec lui et publiera la biographie de son frère en 1858.
Du 22 juin 1807 à 1813, Honoré est pensionnaire au collège des oratoriens de Vendômen 4. Au cours des six ans qu'il y passe, sans jamais rentrer chez lui, même pour les vacances, le jeune Balzac dévore des livres de tout genre : la lecture était devenue pour lui « une espèce de faim que rien ne pouvait assouvir […] son œil embrassait sept à huit lignes d'un coup et son esprit en appréciait le sens avec une vélocité pareille à celle de son esprit9 ». Cependant, ces lectures, qui meublent son esprit et développent son imagination, ont pour effet d'induire chez lui une espèce de coma dû à « une congestion d'idées ». La situation s'aggrave au point que, en avril 1813, les oratoriens s'inquiètent pour sa santé et le renvoient dans sa famille, fortement amaigri.
De juillet à novembre 1814, il est externe au collège de Tours. Son père ayant été nommé directeur des vivres pour la Première division militaire, la famille déménage à Paris et s’installe au 40, rue du Temple, dans le quartier du Marais. L'adolescent est admis comme interne à la pension Lepître, située rue de Turenne à Paris, puis en 1815 à l’institution de l’abbé Ganser, rue de Thorigny. Les élèves de ces deux institutions suivent en fait les cours du lycée Charlemagne, où se trouve aussi Jules Michelet, dont les résultats scolaires sont toutefois plus brillants que les siens.
Le 4 novembre 1816, le jeune Balzac s’inscrit en droit11. En même temps, il prend des leçons particulières et suit des cours à la Sorbonne. Il fréquente aussi le Muséum d'histoire naturelle, où il s'intéresse aux théories de Cuvier et de Geoffroy Saint-Hilaire.
Son père tenant à ce qu'il associe la pratique à la théorie, Honoré doit, en plus de ses études, travailler chez un avoué, ami de la famille, Jean-Baptiste Guillonnet-Merville, homme cultivé qui avait le goût des lettres. Il exerce le métier de clerc de notaire dans cette étude où Jules Janin était déjà « saute-ruisseaun». Il utilisera cette expérience pour restituer l’ambiance chahuteuse d’une étude d’avoué dans Le Colonel Chabert et créer les personnages de maître Derville et d'Oscar Husson dans Un début dans la vie. Une plaque, rue du Temple à Paris, atteste son passage chez cet avoué, dans un immeuble du quartier du Marais. En même temps, il dévore, résume et compare quantité d'ouvrages de philosophie, signe de ses préoccupations métaphysiques et de sa volonté de comprendre le monde. Il passe avec succès le premier examen du baccalauréat en droit le 4 janvier 1819, mais ne se présentera pas au deuxième examen et ne poursuivra pas jusqu'à la licence.
L’écrivain débutant
Son père alors âgé de 73 ans ayant été mis à la retraite, la famille n'a plus les moyens de vivre à Paris et déménage à Villeparisis. Le jeune Balzac ne veut pas quitter Paris et dit vouloir se consacrer à la littérature. Ses parents le logent alors, en août 1819, dans une mansarde, au 9, rue de Lesdiguières, et lui laissent deux ans pour écrire. Balzac rappellera dans Illusions perdues cette période de sa vie. Dans Facino Cane, il mentionne même le nom de la rue et évoque le plaisir qu'il prenait à s'imaginer la vie des autres :
« En entendant ces gens, je pouvais épouser leur vie, je me sentais leurs guenilles sur le dos, je marchais les pieds dans leurs souliers percés ; leurs désirs, leurs besoins, tout passait dans mon âme, ou mon âme passait dans la leur. C’était le rêve d’un homme éveillé. Je m’échauffais avec eux contre les chefs d’atelier qui les tyrannisaient, ou contre les mauvaises pratiques qui les faisaient revenir plusieurs fois sans les payer. Quitter ses habitudes, devenir un autre que soi par l’ivresse des facultés morales, et jouer ce jeu à volonté, telle était ma distraction. À quoi dois-je ce don ? Est-ce une seconde vue ? est-ce une de ces qualités dont l’abus mènerait à la folie ? Je n’ai jamais recherché les causes de cette puissance ; je la possède et m’en sers, voilà tout. »
Il travaille à un projet de Discours sur l'immortalité de l'âme, lit Malebranche, Descartes et entreprend de traduire Spinoza du latin au français. En même temps, il se lance en littérature et, prenant son inspiration dans un personnage de Shakespeare, rédige une tragédie de 1 906 alexandrins, Cromwell (1820). Lorsqu'il présente cette pièce à ses proches, l'accueil se révèle décevant. Consulté, l'académicien François Andrieux le décourage de poursuivre dans cette voie.
Le jeune homme s’oriente alors vers le roman historique dans la veine de Walter Scott, dont la traduction d'Ivanhoé, parue en avril 1820, rencontre en France un immense succès. Sous le titre Œuvres de l'abbé Savonati, il réunit d'abord deux textes, Agathise (entièrement disparu) et Falthurne, récit « dont l'action se situait dans l'Italie vers le temps de Canossa […], attribué à un abbé imaginaire, Savonati, et « traduit » de l'italien par M. Matricante, instituteur au primaire18. » Dans un autre texte, Corsino, il imagine un jeune Provençal, nommé Nehoro (anagramme d'Honoré) qui rencontre dans un château écossais un Italien avec lequel il discute de métaphysique. Ces ébauches sont vite abandonnées et ne seront pas publiées de son vivant. Il en va de même de Sténie ou les Erreurs philosophiques, un roman par lettres esquissé l'année précédente et qui s'inspire de La Nouvelle Héloïse.
En 1821, Balzac s'associe avec Étienne Arago et Lepoitevin pour produire ce qu'il appelle lui-même de « petites opérations de littérature marchande ». Soucieux de ne pas salir son nom par une production qu'il qualifie lui-même de « cochonneries littéraires », il publie sous le pseudonyme de Lord R’hoone (autre anagramme d'Honoré). Parmi ces œuvres, on compte notamment : L'Héritière de Birague, Clotilde de Lusignan, Le Vicaire des Ardennes (interdit et saisi, mais c'est le seul roman de cette époque qui ait échappé à l'échec commercial) et Jean-Louis. Ces ouvrages en petit format in-12 rencontrent un certain public dans les cabinets de lecture, si bien que l'auteur croit avoir trouvé un filon productif. Dans une lettre à sa sœur Laure, datée de juillet 1821, il se fait fort de produire un roman par mois : « Dans peu, Lord R'hoone sera l'homme à la mode, l'auteur le plus fécond, le plus aimable, et les dames l'aimeront comme la prunelle de leurs yeux, et le reste ; et alors, le petit brisquet d'Honoré arrivera en équipage, la tête haute, le regard fier et le gousset plein. » En fait, il dépasse même cet objectif, car il déclare un peu plus tard avoir écrit huit volumes en trois mois. De cette période date, notamment, L'Anonyme, ou, Ni père ni mère signé sous le double pseudonyme de son commanditaire A. Viellerglé Saint-Alme et Auguste Le Poitevin de L'Égreville.
En 1822, il abandonne ce pseudonyme pour celui de Horace de Saint-Aubin. C'est celui qu'il utilise pour signer Le Centenaire ou les Deux Beringheld chez Pollet à Paris et Le Vicaire des Ardennes. Ce dernier ouvrage est dénoncé au roi et saisi. En 1823, il publie Annette et le Criminel, puis La Dernière Fée ou La Nouvelle Lampe merveilleuse, mais ce livre, mauvais pastiche d'un vaudeville de Scribe et d'un roman de Maturin, est « exécrable».
Il collabore au Feuilleton littéraire, qui cessera de paraître le 7 septembre 1824, et rédige divers ouvrages utilitaires répondant à la demande du public. Après un Code de la toilette (1824), il publie un Code des gens honnêtes dans lequel il affirme avec cynisme que tout l'état social repose sur le vol et qu'il faut donc donner aux gens honnêtes les moyens de se défendre contre les ruses des avocats, avoués et notaires28. Il travaille aussi à un Traité de la prière et publie une Histoire impartiale des Jésuites (1824). Il rédige aussi sous pseudonyme un ouvrage sur Le Droit d'aînesse (1824), sujet qui sera chez lui un thème récurrent. Son père, qui avait mis la main sur cette brochure anonyme, s'indigna contre un « auteur arriéré » défenseur d'une institution périmée et entreprit de le réfuter, ignorant qu'il s'agissait de son fils.
Vers la fin de l'année 1824, en proie à une profonde crise morale et intellectuelle, Balzac abandonne la littérature commerciale et rédige le testament littéraire de Horace de Saint-Aubin, qu'il place dans la postface de Wann-Chlore ou Jane la Pâle. Il se moquera plus tard des intrigues sommaires et dépourvues de style des romans de cette époque, et en fera un pastiche désopilant dans un long passage de La Muse du département. Il se met alors à la rédaction de L'Excommunié, roman de transition achevé par une main étrangère et qui ne sera publié qu'en 1837. Cet ouvrage consomme sa rupture avec la littérature facile et sera le premier jalon d'un cycle de romans historiques. Féru d'histoire, Balzac aura alors l'idée de présenter l'histoire de France sous une forme romanesque, ce qui donnera notamment Sur Catherine de Médicis. Il s'essaie aussi une nouvelle fois au théâtre, avec Le Nègre, un sombre mélo, tout en étant conscient de gaspiller son génie, et esquisse un poème en vers qui n'aboutira pas : Fœdora.
En dépit de leurs défauts, ces œuvres de jeunesse, publiées de 1822 à 1827, contiennent, selon André Maurois, les germes de ses futurs romans : « Il sera un génie malgré lui. » Balzac, toutefois, les désavoue et les proscrira de l’édition de ses œuvres complètes, tout en les republiant en 1837 sous le titre Œuvres complètes de Horace de Saint-Aubin, et en faisant compléter certains ouvrages par des collaborateurs, notamment le marquis de Belloy et le comte de Gramont. Pour mieux brouiller les pistes et couper tout lien avec son pseudonyme, il chargera Jules Sandeau de rédiger un ouvrage intitulé Vie et malheurs de Horace de Saint-Aubin.
Désespérant de devenir riche avec une littérature alimentaire qu'il méprise, il décide de se lancer dans les affaires et devient libraire-éditeur. Le 19 avril 1825, il s’associe à Urbain Canel et Augustin Delongchamps pour publier des éditions illustrées de Molière et de La Fontaine. Il acquiert aussi une partie du matériel de l'ancienne fonderie Gillé & Fils et fonde une imprimerie. Toutefois, les livres ne se vendent pas aussi bien qu'il le souhaitait et la faillite menace. Lâché par ses associés, Balzac se retrouve, le 1er mai 1826, avec une énorme dette. Au lieu de jeter l'éponge, il pousse plus loin l'intégration verticale et décide, le 15 août 1827, de créer une fonderie de caractères avec le typographe André Barbier39. Cette affaire se révèle également un échec financier. Au 16 avril 1827, il croule sous une dette dont le chiffre varie selon les sources de 53 619 francs à 60 000 francs de l'époque.
Vers une nouvelle forme de roman
Passionné par les idées et les théories explicatives, Balzac s'intéresse aux écrits de Swedenborg, ainsi qu'au martinisme et aux sciences occultes. Convaincu de la puissance de la volonté, il croit que l'homme « a le pouvoir d'agir sur sa propre force vitale et de la projeter hors de soi-même, pratiquant occasionnellement le magnétisme curatif, comme sa mère, par l'imposition des mains ». Il connaît par expérience la force que recèle le roman, mais ne voit pas encore celui-ci comme un outil de transformation sociale. Ainsi écrit-il dans une préface : « Ah ! si j'étais une fois conseiller d'État, comme je dirais au roi, et en face encore : « Sire, faites une bonne ordonnance qui enjoigne à tout le monde de lire des romans !… » En effet, c'est un conseil machiavélique, car c'est comme la queue du chien d'Alcibiade ; pendant qu'on lirait des romans, on ne s'occuperait pas de politique. »
Il perçoit maintenant les limites de Walter Scott, un modèle fort admiré et à qui il rendra encore hommage dans son avant-propos de 1842. Comme le déclarera plus tard un de ses personnages dans un avertissement lancé à un jeune écrivain : « Si vous voulez ne pas être le singe de Walter Scott, il faut vous créer une manière différente. »
S'il peut envisager la possibilité de dépasser son modèle, c'est aussi parce qu'il a découvert, en 1822, L’Art de connaître les hommes par la physionomie de Lavater et qu'il en est fortement imprégné. La physiognomonie, qui se flatte de pouvoir associer « scientifiquement » des traits de caractère à des caractéristiques physiques et qui recense quelque 6 000 types humains, devient pour lui une sorte de bible. Cette théorie contient en effet en germe « l'esquisse d'une étude de tous les groupes sociaux». Le romancier aura souvent recours à cette théorie pour brosser le portrait de ses personnages :
« Les lois de la physionomie sont exactes, non seulement dans leur application au caractère, mais encore relativement à la fatalité de l’existence. Il y a des physionomies prophétiques. S’il était possible, et cette statistique vivante importe à la Société, d’avoir un dessin exact de ceux qui périssent sur l’échafaud, la science de Lavater et celle de Gall prouveraient invinciblement qu’il y avait dans la tête de tous ces gens, même chez les innocents, des signes étranges. »
D'une vieille fille méchante et bornée, il écrit ainsi que « la forme plate de son front trahissait l'étroitesse de son esprit ». Pour un criminel : « Un trait de sa physionomie confirmait une assertion de Lavater sur les gens destinés au meurtre, il avait les dents de devant croisées. » Ailleurs, il décrit ainsi un banquier : « L’habitude des décisions rapides se voyait dans la manière dont les sourcils étaient rehaussés vers chaque lobe du front. Quoique sérieuse et serrée, la bouche annonçait une bonté cachée, une âme excellente, enfouie sous les affaires, étouffée peut-être, mais qui pouvait renaître au contact d’une femme. »
Après sa faillite comme éditeur, Balzac revient à l’écriture. En septembre 1828, cherchant la sérénité et la documentation nécessaires à la rédaction des Chouans, roman politico-militaire, il obtient d'être hébergé par le général Pommereul à Fougères. Il polit particulièrement cet ouvrage, car il veut le faire éditer en format in-octavo, beaucoup plus prestigieux que le format in-12 de ses livres précédents destinés aux cabinets de lecture. Le roman paraît finalement en 1829 sous le titre Le Dernier Chouan ou la Bretagne. C'est le premier de ses ouvrages à être signé « Honoré Balzac ».
Cette même année 1829 voit la parution de Physiologie du mariage « par un jeune célibataire». Balzac y montre une « étonnante connaissance des femmes », qu'il doit sans doute aux confidences de ses amantes, Mme de Berny et la duchesse d'Abrantès, ainsi qu'à Fortunée Hamelin et Sophie Gay, des Merveilleuses dont il fréquente les salons. Décrivant le mariage comme un combat, l'auteur prend le parti des femmes et défend le principe de l'égalité des sexes, alors mis en avant par les saint-simoniens. L'ouvrage remporte un grand succès auprès des femmes, qui s'arrachent le livre, même si certaines le trouvent choquant.
Balzac commence dès lors à être un auteur connu. Il est introduit au salon de Juliette Récamier où se retrouve le gratin littéraire et artistique de l'époque. Il fréquente aussi le salon de la princesse russe Catherine Bagration, où il se lie notamment avec le duc de Fitz-James, oncle de Mme de Castries. Toutefois, ses livres ne se vendent pas assez : ses revenus ne sont pas à la hauteur de ses ambitions et de son train de vie. Il cherche alors à gagner de l'argent dans le journalisme.
En 1830, il écrit dans la Revue de Paris, la Revue des deux Mondes, La Mode, La Silhouette, Le Voleur, La Caricature. Il devient l'ami du patron de presse Émile de Girardin. Deux ans après la mort de son père, survenue le 19 juin 1829, l'écrivain ajoute une particule à son nom lors de la publication de L'Auberge rouge, en 1831, qu'il signe « de » Balzac. Ses textes journalistiques sont d'une grande diversité. Certains portent sur ce qu'on appellerait aujourd'hui la politique culturelle, tels « De l'état actuel de la librairie » et « Des artistes ». Ailleurs est esquissée une « Galerie physiologique », avec « L'Épicier » et « Le Charlatan ». Il écrit aussi sur les mots à la mode, la mode en littérature et esquisse une nouvelle théorie du déjeuner. Il publie en parallèle des contes fantastiques et se met à écrire sous forme de lettres des réflexions sur la politique.
En même temps, il travaille à La Peau de chagrin, qu'il voit comme « une véritable niaiserie en fait de littérature, mais où il a essayé de transporter quelques situations de cette vie cruelle par laquelle les hommes de génie ont passé avant d'arriver à quelque chose ». D'inspiration romantique par son intrigue, qui fait « se dérouler dans le Paris de 1830 un conte oriental des Mille et une Nuits», le conte explore l'opposition entre une vie fulgurante consumée par le désir, et la longévité morne que donne le renoncement à toute forme de désir. Son héros, Raphaël de Valentin, s'exprime comme l'auteur lui-même, qui veut tout : la gloire, la richesse, les femmes :
« Méconnu par les femmes, je me souviens de les avoir observées avec la sagacité de l’amour dédaigné. […] Je voulus me venger de la société, je voulus posséder l’âme de toutes les femmes en me soumettant les intelligences, et voir tous les regards fixés sur moi quand mon nom serait prononcé par un valet à la porte d’un salon. Je m’instituai grand homme. »
Balzac dira plus tard de ce roman qu'il est « la clé de voûte qui relie les études de mœurs aux études philosophiques par l'anneau d’une fantaisie presque orientale où la vie elle-même est prise avec le Désir, principe de toute passion ».
Dans la préface de l'édition de 1831, il expose son esthétique réaliste : « L'art littéraire ayant pour objet de reproduire la nature par la pensée est le plus compliqué de tous les arts. […] L'écrivain doit être familiarisé avec tous les effets, toutes les natures. Il est obligé d'avoir en lui je ne sais quel miroir concentrique où, suivant sa fantaisie, l'univers vient se réfléchir. » Ce livre — qu'il dédie à la dilecta — paraîtra finalement en 1831. C'est un succès immédiat. Balzac est devenu « avec trois ouvrages, l'ambition des éditeurs, l'enfant chéri des libraires, l'auteur favori des femmes ».
La Peau de chagrin marque le début d'une période créative au cours de laquelle prennent forme les grandes lignes de La Comédie humaine. Les « études philosophiques », qu’il définit comme la clé permettant de comprendre l’ensemble de son œuvre, ont pour base cet ouvrage, qui sera suivi de Louis Lambert (1832), Séraphîta (1835) et La Recherche de l'absolu (1834).
Les Scènes de la vie privée, qui inaugurent la catégorie des « études de mœurs », commencent avec Gobseck (1830) et La Femme de trente ans (1831). La construction de « l'édifice », dont il expose le plan dès 1832 à sa famille avec un enthousiasme fébrile, se poursuit avec les Scènes de la vie parisienne dont fait partie Le Colonel Chabert (1832-1835). Il aborde en même temps les Scènes de la vie de province avec Le Curé de Tours (1832) et Eugénie Grandet (1833), ainsi que les Scènes de la vie de campagne avec Le Médecin de campagne (1833), dans lequel il expose un système économique et social de type saint-simonien.
Ainsi commence « le grand dessein » qui, loin d’être une simple juxtaposition d’œuvres compilées a posteriori, se développe instinctivement au fur et à mesure de ses écrits. Il envisage le plan d'une œuvre immense, qu'il compare à une cathédrale. L’ensemble doit être organisé pour embrasser du regard toute l’époque, tous les milieux sociaux et l'évolution des destinées. Profondément influencé par les théories de Cuvier et de Geoffroy Saint-Hilaire, il part du principe qu'il existe « des Espèces Sociales comme il y a des Espèces Zoologiques » et que les premières sont beaucoup plus variées que les secondes, car « les habitudes, les vêtements, les paroles, les demeures d’un prince, d’un banquier, d’un artiste, d’un bourgeois, d’un prêtre et d’un pauvre sont entièrement dissemblables et changent au gré des civilisations ». Il en résulte que la somme romanesque qu'il envisage doit « avoir une triple forme : les hommes, les femmes et les choses, c’est-à-dire les personnes et la représentation matérielle qu’ils donnent de leur pensée ; enfin l’homme et la vie ».
Le Père Goriot, commencé en 1834, marque l’étape la plus importante dans la construction de son œuvre, car Balzac a alors l'idée du retour des personnages, qui est une caractéristique majeure de La Comédie humaine. L'œuvre n'a pu prendre corps qu'avec l'idée de ce retour. Elle est étroitement liée à l'idée d'un cycle romanesque « faisant concurrence à l’état civil ». Ainsi, un personnage qui avait joué un rôle central dans un roman peut reparaître dans un autre quelques années plus tard comme personnage secondaire, tout en étant présenté sous un nouveau jour, exactement comme, dans la vie, des gens que nous avons connus peuvent disparaître longtemps de nos relations pour ensuite refaire surface. Le roman arrive ainsi à restituer « la part de mystère qui subsiste dans chaque vie et dans tout être. Dans la vie aussi, rien ne se termine ». De même, anticipant la vogue des « préquelles », il peut présenter dans un roman la jeunesse d'une personne qu'on avait rencontrée sous les traits d'une femme mûre dans un roman précédent, telle « l'actrice Florine peinte au milieu de sa vie dans Une fille d'Ève et que l'on retrouve à son début dans Illusions perdues ».
Une fois le plan élaboré, les publications se succèdent à un rythme accéléré : Le Lys dans la vallée paraît en 1835-1836, puis Histoire de la grandeur et de la décadence de César Birotteau en 1837, suivi de La Maison Nucingen en 1838, Le Curé de village et Béatrix en 1839, Ursule Mirouët et Une ténébreuse affaire en 1841, La Rabouilleuse en 1842. La rédaction d'Illusions perdues s’étend de 1837 à 1843, tandis que celle de Splendeurs et misères des courtisanes va de 1838 à 1847. Paraissent encore deux chefs-d'œuvre : La Cousine Bette (1846) et Le Cousin Pons (1847).
Le plan de l'ouvrage est constamment refait et s'allonge au fil des ans, jusqu'à compter 145 titres en 1845, dont 85 sont déjà écrits. Mais ses forces déclinent et il doit réduire son projet. Au total, La Comédie humaine comptera 90 titres publiés du vivant de l'auteur.
Une passion du détail vrai
« Enfin, toutes les horreurs que les romanciers croient inventer sont toujours au-dessous de la vérité. »
Le Colonel Chabert
Doté du génie de l'observation, Balzac attache une grande importance à la documentation et décrit avec précision les lieux de ses intrigues, n'hésitant pas à se rendre sur place pour mieux s'imprégner de l'atmosphère, ou interrogeant des personnes originaires d'une ville qui joue un rôle dans son récit. Il a un sens aigu du détail vrai et son style devient jubilatoire dès qu'il s'agit de décrire. C'est pour cela que les personnages prennent tellement de place dans son œuvre et qu'il ne pouvait pas rivaliser avec Eugène Sue dans le roman-feuilleton. Il décrit minutieusement une rue, l'extérieur d'une maison, la topographie d'une ville, la démarche d'un personnage, les nuances de la voix et du regard. Il est à la fois scénographe, costumier et régisseur : « Balzac, par sa gestion si particulière de l'espace et du temps, a inventé l'écriture cinématographique. » Les minutieuses descriptions de l’ameublement d’une maison, d'une collection d'antiquités, des costumes des personnages jusque dans les moindres détails — passementerie, étoffes, teintes — sont celles d’un scénographe, voire d'un cinéaste. L’auteur de La Comédie humaine plante ses décors avec un soin presque maniaque, ce qui explique l’engouement des metteurs en scène pour ses textes, souvent adaptés à l’écran (voir Films basés sur l'œuvre d'Honoré de Balzac). Il accorde un même soin à décrire le fonctionnement d'une prison, les rouages de l'administration, la mécanique judiciaire, les techniques de spéculation boursière, les plus-values que procure un monopole ou une soirée à l'Opéra et les effets de la musique.
Par cet ensemble de romans et nouvelles, Balzac se veut un témoin de son siècle, dont il dresse un état des lieux pour les générations futures. Il s'attache à des réalités de la vie quotidienne qui étaient ignorées par les auteurs classiques. Grâce à la précision et à la richesse de ses observations, La Comédie humaine a aujourd'hui valeur de témoignage socio-historique et permet de suivre la montée de la bourgeoisie française de 1815 à 1848.
Pour cette raison, on a vu en lui un auteur réaliste, alors que le génie balzacien excède une catégorie réductrice que dénonçait déjà Baudelaire :
« J'ai maintes fois été étonné que la grande gloire de Balzac fût de passer pour un observateur ; il m'avait toujours semblé que son principal mérite était d'être visionnaire, et visionnaire passionné. Tous ses personnages sont doués de l'ardeur vitale dont il était animé lui-même. Depuis le sommet de l'aristocratie jusqu'aux bas-fonds de la plèbe, tous les acteurs de sa Comédie sont plus âpres à la vie, plus actifs et rusés dans la lutte, plus patients dans le malheur, plus goulus dans la jouissance, plus angéliques dans le dévouement, que la comédie du vrai monde ne nous les montre. Bref, chacun, chez Balzac, même les portières, a du génie. »
Baudelaire reconnaît toutefois au romancier un « goût prodigieux du détail, qui tient à une ambition immodérée de tout voir, de tout faire voir, de tout deviner, de tout faire deviner ». Nombre de critiques ont salué « une imagination débordante et d'une richesse infinie, l'imagination créatrice la plus fertile et la plus dense qui ait jamais existé depuis Shakespeare ». En poussant la précision du détail jusqu'à l'hyperbole, le réalisme balzacien devient incandescent et se transforme en vision. Certains récits relèvent de la veine fantastique tandis que d'autres baignent dans une veine mystique et ésotérique.
En plus de faire un portrait de la société, Balzac veut aussi influer sur son siècle, comme il le déclare lors d'une entrevue en 1833. Il veut occuper la première place dans la littérature européenne, à la hauteur des Byron, Scott, Goethe ou Hoffmann.
Liens avec sa propre vie
Balzac et les personnages de La Comédie humaine
L’œuvre est indissociable de sa vie, dont les vicissitudes font comprendre ce qui a nourri son « monde ». Il fascine ses contemporains par ses bagues, sa canne à pommeau d'or, sa loge à l'Opéra. Il vit avec une gourmandise insatiable, un appétit « d'argent, de femmes, de gloire, de réputation, de titres, de vins et de fruits ».
Il a multiplié déménagements, faillites, dettes, spéculations ruineuses, amours simultanées, emprunts de faux noms, séjours dans des châteaux, que ce soit à Saché ou à Frapesle, et a fréquenté tous les milieux sociaux. L'accès à l'aisance financière — « Avoir ou n’avoir pas de rentes, telle était la question, a dit Shakspeare » — est la motivation majeure de la plupart des mariages dans ses romans — comme ce le fut pour lui. Il montre un auteur poursuivi pour n'avoir pas livré à temps un manuscrit promis à son éditeur, tout comme cela lui est arrivé à lui-même. Alors qu'il a dû se cacher longtemps dans un appartement secret pour échapper à ses créanciers, en inventant mille stratagèmes (voir ci-dessous « Rue des Batailles »), il met en scène un détective privé qui gagne sa vie en s'emparant de débiteurs insaisissables. À l'époque où, muni de l'argent que lui a confié Mme Hańska, il court les antiquaires à la recherche de tableaux et d'objets d'art pour meubler fastueusement leur demeure commune (voir ci-dessous « La Folie Beaujon ou le dernier palais »), il dessine le personnage du cousin Pons, un collectionneur passionné qui « pendant ses courses à travers Paris, avait trouvé pour dix francs ce qui se paye aujourd’hui mille à douze cents francs » et avait ainsi amassé une collection exceptionnelle.
Par leur psychologie, plusieurs personnages sont intimement liés à la personnalité de Balzac et apparaissent comme des doubles de leur créateur. On peut voir une part de lui dans les personnages de Séraphîta, Louis Lambert, La Fille aux yeux d'or et Mémoires de deux jeunes mariées. On le reconnaît aussi dans le narrateur de Facino Cane et surtout en Lucien de Rubempré, dont la trajectoire, qui s'étend sur ses deux plus grands romans (Illusions perdues et Splendeurs et misères des courtisanes), comporte de nombreux points communs avec la sienne : même début dans la poésie, même liaison de jeune homme avec une femme mariée, même ambition littéraire, même désir de quitter la province pour percer à Paris, etc. Tout comme Lucien se donne un titre de noblesse et des armoiries, Balzac a ajouté une particule nobiliaire à son nom et a fait peindre des armoiries sur la calèche qu'il avait louée pour aller rencontrer Mme Hańska à Vienne.
Style et méthode de travail
Il a presque toujours plusieurs ouvrages en chantier, étant à même de puiser dans sa galerie de personnages pour les intégrer à une intrigue et répondre à la demande d'un éditeur qui lui demande une nouvelle. Décrivant la méthode de travail de Balzac, André Maurois imagine que des centaines de romans flottent sur ses pensées « comme des truites dans un vivier, le besoin venu, il en saisit un. Quelquefois, il n'y réussit pas tout de suite. […] Si un livre vient mal, Balzac le rejette au vivier. Il passe à autre chose ». Il n'hésite pas à refondre ses textes antérieurs, changeant le titre d'un roman ou des noms de personnages, reprenant un texte d'abord publié sous forme de nouvelle pour l'intégrer dans une suite romanesque. Il élimine aussi dans l'édition définitive la division en chapitres.
Très doué pour le pastiche, Balzac imite facilement des écrivains et des voix particulières. Il va volontiers jusqu'à la caricature, comme pour le langage de la concierge du Cousin Pons ou le jargon du banquier Nucingen. Il inscrit dans la trame de ses romans d'innombrables analogies cachées qui en forment l'armature symbolique et contribuent à donner un accent de vérité au récit. Son style, qui a été critiqué pour des fautes de goût dans les premières années, commence à s'élever à force de travail et dénote par la suite une grande maîtrise. Il corrige inlassablement ses épreuves, exigeant parfois qu'elles soient reprises jusqu'à quinze ou seize fois, et retournant à l'imprimeur des pages tellement barbouillées de corrections qu'elles faisaient le désespoir des typographes, mais suscitent maintenant l'admiration.
Pour se délasser et servir d'antidote au « sérieux romantique », Balzac travaille aux Contes drolatiques, qu'il rédige en parallèle à ses romans, de 1832 à 1837, s'inspirant de Rabelais et pastichant l'ancien français tout en inventant force néologismes.
Balzac journaliste
Daniel d'Arthez met en garde Lucien de Rubempré sur les dangers du journalisme (Illusions perdues).
Le journalisme attire Balzac parce que c'est une façon d'exercer un pouvoir sur la réalité, lui qui rêve parfois de devenir maître du monde littéraire et politique grâce à l'association Le Cheval rouge qu'il voulait créer.
En même temps, il est bien conscient des dangers que cette carrière représente pour l'écrivain, parce que, forcé d'écrire sous des contraintes impératives, le journaliste est « une pensée en marche comme le soldat en guerre ». Dans Illusions perdues, il fait dire aux sages du Cénacle, lorsque Lucien de Rubempré annonce qu’il va « se jeter dans les journaux » :
« Gardez-vous en bien, là serait la tombe du beau, du suave Lucien que nous aimons […]. Tu ne résisterais pas à la constante opposition de plaisir et de travail qui se trouve dans la vie des journalistes ; et résister au fond, c’est la vertu. Tu serais si enchanté d’exercer le pouvoir, d’avoir le droit de vie et de mort sur les œuvres de la pensée, que tu serais journaliste en deux mois. »
Ailleurs, il revient sur les compromissions auxquelles doit souvent se résoudre le journaliste : « Quiconque a trempé dans le journalisme, ou y trempe encore, est dans la nécessité cruelle de saluer les hommes qu’il méprise, de sourire à son meilleur ennemi, de pactiser avec les plus fétides bassesses, de se salir les doigts en voulant payer ses agresseurs avec leur monnaie. On s’habitue à voir faire le mal, à le laisser passer ; on commence par l’approuver, on finit par le commettre. »
Pour sa part, en tant que journaliste, il s'engage dès 1830 dans la défense des intérêts des gens de lettres, affirmant que l'artiste doit bénéficier d'un statut spécial car il constitue une force idéologique, un contre-pouvoir, voire une menace révolutionnaire que le gouvernement a tort de dédaigner, car son génie le place à égalité avec l'homme d'État. Il dénonce le rapport de forces inégal entre une pléthore d'écrivains débutants et la poignée d'éditeurs qui les exploite. Ce combat débouchera sur la création de la Société des gens de lettres.
Il livre aussi un combat, en septembre 1839, pour la révision du procès de Sébastien-Benoît Peytel, un ancien confrère du journal Le Voleur et auteur d'un violent pamphlet contre Louis-Philippe, condamné à mort pour le meurtre de son épouse et de son domestique. Il tente d'en faire une cause nationale, mais sans succès.
Outre sa profonde connaissance des milieux du journalisme, il participe aussi, en tant qu'écrivain, à la révolution du roman-feuilleton : en 1836, il livre au journal La Presse de son ami Girardin, La Vieille Fille, qui paraît en douze livraisons. En 1837, il y fera paraître Les Employés ou la Femme supérieure. Dans les années qui suivent, il donnera aussi divers romans au Constitutionnel et au Siècle. À partir de l'automne 1836, presque tous ses romans paraîtront d'abord découpés en tranches quotidiennes dans un journal, avant d'être édités en volumes. Cette formule entraîne une censure de la moindre allusion sexuelle dans le texte livré aux journaux.
La Chronique de Paris
En 1835, apprenant que La Chronique de Paris, journal politique et littéraire, feuille sans position politique bien tranchée, est à vendre, Balzac l’achète, avec des fonds qu’il ne possède pas — comme à son habitude. L’entreprise, qui aurait paru dramatique à tout autre, le remplit de joie et il construit aussitôt ses « châteaux en Espagne ». Il veut en faire l'organe du « parti des intelligentiels ».
Quand enfin La Chronique de Paris paraît, le 1er janvier 1836, l’équipe comprend des plumes importantes : Victor Hugo, Gustave Planche, Alphonse Karr et Théophile Gautier, dont Balzac apprécie le jeune talent ; pour les illustrations, le journal s'attache les noms de Henry Monnier, Grandville et Honoré Daumier. Balzac se réserve la politique, car le journal est un outil de pouvoir. Il fournira aussi des nouvelles. En réalité, si les membres de la rédaction festoient beaucoup chez Balzac, bien peu d’entre eux tiennent leurs engagements et Balzac est pratiquement le seul à y écrire. Il y publie des textes dont certains se retrouveront plus tard dans La Comédie humaine, mais remaniés cent fois selon son habitude, notamment L'Interdiction, La Messe de l'athée et Facino Cane.
Quant aux articles politiques signés de sa main, le ton en est donné par cet extrait paru le 12 mai 1836 : « Ni M. Guizot ni M. Thiers n'ont d'autre idée que celle de nous gouverner. M. Thiers n’a jamais eu qu’une seule pensée : il a toujours songé à M. Thiers […]. M. Guizot est une girouette qui, malgré son incessante mobilité, reste sur le même bâtiment. »
Balzac décrit avec une assez juste vision des choses la rivalité entre l'Angleterre et la Russie pour le contrôle de la Méditerranée. Il proteste contre l'alliance de la France et de l'Angleterre et dénonce le manque de plan de la diplomatie française. Enfin, il prophétise la domination de la Prusse sur une Allemagne unifiée. Il publie aussi dans ce journal des romans et des nouvelles.
Au début, La Chronique de Paris a un grand succès, et cette entreprise aurait pu être une véritable réussite. Mais Balzac est obligé de livrer, en même temps, à Madame Béchet et Edmond Werdet, les derniers volumes des Études de mœurs. Il a par ailleurs fait faillite dans une affaire chimérique avec son beau-frère Surville. Enfin, il se brouille avec Buloz, nouveau propriétaire de la Revue de Paris, qui avait sans doute communiqué des épreuves du Lys dans la vallée pour une publication en Russie par La Revue étrangère. Balzac refuse dès lors de continuer à livrer son texte et il s'ensuit un procès. Par ailleurs, il est arrêté par la Garde nationale parce qu'il refuse d'accomplir ses devoirs de soldat-citoyen, et est conduit à la maison d’arrêt, où il passe une semaine avant que l’éditeur Werdet réussisse à l'en faire sortir. S'ensuivent cinq mois pénibles, durant lesquels il avoue son découragement à ses proches : « La vie est trop pesante, je ne vis pas avec plaisir. » Le jugement lui donne toutefois raison contre Buloz, mais il est aussitôt poursuivi pour retard dans la livraison des romans promis à un autre éditeur, la veuve Béchet. Menacé d’être mis en faillite, il décide, en juillet 1836, d’abandonner La Chronique.
Les mésaventures qu'il vient de connaître alimenteront la création d'un de ses plus beaux romans, alors en chantier, Illusions perdues, dont la deuxième partie sera « le poème de ses luttes et de ses rêves déçus ».
Revue parisienne
L’expérience ruineuse de La Chronique de Paris aurait dû décourager Balzac à jamais de toute entreprise de presse. Mais en 1840, Armand Dutacq — directeur du grand quotidien Le Siècle et initiateur, avec Émile de Girardin, du roman-feuilleton — lui offre de financer une petite revue mensuelle. Aussitôt, Balzac imagine la Revue parisienne, dont Dutacq serait administrateur et avec lequel il partagerait les bénéfices. L’entreprise est censée servir les intérêts du feuilletoniste Balzac à une époque où Alexandre Dumas et Eugène Sue gèrent habilement le genre dans les quotidiens et utilisent au mieux le principe du découpage et du suspense. Balzac se lance alors dans la compétition, tout en rédigeant pratiquement seul pendant trois mois une revue qu’il veut également littéraire et politique. Il ouvre le premier numéro avec Z. Marcas le 25 juillet 1840, nouvelle qui sera intégrée à La Comédie humaine en août 1846 dans les Scènes de la vie politique.
Outre ses attaques contre le régime monarchique, la Revue parisienne se distingue par des critiques littéraires assez poussées dans la charge comme dans l’éloge. Parmi ses victimes, on compte Henri de Latouche avec lequel Balzac est brouillé et qu’il méprise désormais130 : « Le véritable roman se réduit à deux cents pages dans lesquelles il y a deux cents événements. Rien ne trahit plus l'impuissance d'un auteur que l'entassement des faits. »
Il attaque son vieil ennemi Sainte-Beuve et se déchaîne contre son Port-Royal, se vengeant des humiliations passées :
« Monsieur Sainte-Beuve a eu la pétrifiante idée de restaurer le genre ennuyeux. […] Tantôt l'ennui tombe sur vous, comme parfois vous voyez tomber une pluie fine qui finit par vous percer jusqu'aux os. Les phrases à idées menues, insaisissables pleuvent une à une et attristent l'intelligence qui s'expose à ce français humide. Tantôt l'ennui saute aux yeux et vous endort avec la puissance du magnétisme, comme en ce pauvre livre qu'il appelle l'histoire de Port-Royal. »
Balzac s’en prend encore, çà et là, assez injustement, à Eugène Sue, mais rend un hommage vibrant à La Chartreuse de Parme de Stendhal, à une époque où, d’un commun accord, la presse ignorait complètement cet écrivain :
« Monsieur Stendhal a écrit un livre où le sublime éclate de chapitre en chapitre. Il a produit, à l’âge où les hommes trouvent rarement des sujets grandioses, et après avoir écrit une vingtaine de volumes extrêmement spirituels, une œuvre qui ne peut être appréciée que par les âmes et les gens supérieurs […]. »
Il publie aussi un article intitulé « Sur les ouvriers », dans lequel il se rapproche des idées de Fourier. Mais cela marque le dernier numéro de la Revue parisienne, qui s’éteindra après la troisième parution, le 25 septembre 1840. Balzac et Dutacq partageront les pertes, qui n’étaient d’ailleurs pas très lourdes. Cependant, une fois encore, Balzac a échoué dans la presse, et dans les affaires.
Monographie de la presse parisienne
Dans cette monographie humoristique (1843), Balzac propose une analyse complète des composantes de la presse. On trouve dans ce pamphlet la définition du publiciste, du journaliste, du « faiseur d'articles de fond », du « pêcheur à la ligne » (le pigiste payé à la ligne), du « rienologue » : « Vulgarisateur, alias : homo papaver, nécessairement sans aucune variété […], qui étend une idée d’idée dans un baquet de lieux communs, et débite mécaniquement cette effroyable mixtion philosophico-littéraire dans des feuilles continues. » Balzac y invente le terme « gendelettre », qu’il dit construit « comme gendarme ». En naturaliste, plus loin dans l’ouvrage, il présente un « Tableau synoptique de l’ordre GENDELETTRE" », à la manière d’un Linné. L’ordre GENDELETTRE est organisé en deux genres (PUBLICISTE et CRITIQUE), eux-mêmes divisés en sous-genres où l’on retrouve plusieurs des catégories citées ci-dessus. Si le tableau manque un peu d’humour et n’est pas passé à la postérité, il n’en est pas de même du terme « gendelettre », devenu mot commun et apparaissant en tant que nom propre dans au moins trois romans de différents auteurs.
La préface par Gérard de Nerval est dans le même ton. Dans un style pince-sans-rire, celui-ci donne une définition du « canard » : « Information fabriquée colportée par des feuilles satiriques et d’où est né le mot argot “canard” pour désigner un journal. »
Un forçat littéraire
Lorsqu'il s'installe dans la maison de la rue Cassini, Balzac place sur la cheminée une statuette de Napoléon et colle sur la base un papier où est écrit : « Ce qu'il a entrepris par l'épée, je l'accomplirai par la plume. »
« Il faut que la pensée ruisselle de ma tête comme l'eau d'une fontaine. Je n'y conçois rien moi-même. »
Balzac
Balzac était un écrivain d'une fécondité prodigieuse, il pouvait écrire vite, beaucoup et inlassablement. Ainsi, c’est en une seule nuit, chez son amie Zulma Carraud à la poudrerie d’Angoulême, qu’il écrivit La Grenadière : « La Grenadière, cette jolie perle, fut écrite en jouant au billard. Il quittait le jeu, me priant de l’excuser, et griffonnait sur un coin de table, puis revenait à la partie pour la quitter bientôt. »
Même s'il avait une constitution apparemment robuste — « col d'athlète ou de taureau […] Balzac, dans toute la force de l'âge présentait les signes d'une santé violente » —, il malmena sa santé par un régime épuisant, consacrant de seize à dix-huit heures par jour à l'écriture, et parfois même vingt heures quotidiennes. Dès 1831, il confiait à son amie Zulma : « Je vis sous le plus dur des despotismes : celui qu'on se fait à soi-même. » Il estime que la volonté doit être un sujet d'orgueil plus que le talent : « Il n’existe pas de grand talent sans une grande volonté. Ces deux forces jumelles sont nécessaires à la construction de l’immense édifice d’une gloire. Les hommes d’élite maintiennent leur cerveau dans les conditions de la production, comme jadis un preux avait ses armes toujours en état. »
Selon Stefan Zweig, la production littéraire de Balzac durant les années 1830-1831 est pratiquement sans équivalent dans les annales de la littérature : le romancier doit avoir écrit une moyenne de seize pages imprimées par jour, sans compter les corrections sur épreuves. Pour cela, il travaille surtout la nuit, pour ne pas être dérangé : « J'ai repris la vie de forçat littéraire. Je me lève à minuit et me couche à six heures du soir ; à peine ces dix-huit heures de travail peuvent-elles suffire à mes occupations. » Ou encore : « Quand je n'écris pas mes manuscrits, je pense à mes plans, et quand je ne pense pas à mes plans et ne fais pas de manuscrits, j'ai des épreuves à corriger. Voici ma vie. »
Pour soutenir ce rythme, il fait depuis des années une consommation excessive de café, qu'il boit « concassé à la turque » afin de stimuler « sa manufacture d'idées » : « Si on le prend à jeun, ce café enflamme les parois de l'estomac, le tord, le malmène. Dès lors tout s'agite : les idées s'ébranlent comme les bataillons de la Grande Armée sur le terrain d'une bataille, et la bataille a lieu. Les souvenirs arrivent au pas de charge, enseignes déployées ; la cavalerie légère des comparaisons se développe par un magnifique galop ; l'artillerie de la logique accourt avec son train et ses gargousses ; les traits d'esprit arrivent en tirailleurs ; les figures se dressent, le papier se couvre d'encre. »
Ce régime lui était nécessaire pour parvenir à livrer à son éditeur la centaine de romans devant composer La Comédie humaine, en plus des articles promis aux journaux et revues. À cela s'ajoute aussi l'énorme recueil des Cent Contes drolatiques qu'il rédige entre 1832 et 1837, dans une veine et un style rabelaisiens. Il cherche toujours, par cette production continue, à régler les dettes que son train de vie frénétique et fastueux lui occasionne. Il entretient aussi une importante correspondance et fréquente les salons où il rencontre les modèles de ses personnages.
Il a une haute opinion du rôle de l'écrivain et considère sa tâche comme un sacerdoce : « Aujourd'hui l'écrivain a remplacé le prêtre, il a revêtu la chlamyde des martyrs, il souffre mille maux, il prend la lumière sur l'autel et la répand au sein des peuples. Il est prince, il est mendiant. Il console, il maudit, il prophétise. Sa voix ne parcourt pas seulement la nef d'une cathédrale, elle peut quelquefois tonner d'un bout du monde à l'autre. »
Les dernières années et la mort
Dès 1845, le rythme de la production de Balzac ralentit, et il se lamente dans ses lettres de ne pas pouvoir écrire. En 1847, il avoue sentir se désagréger ses forces créatrices. Comme le héros de son premier grand livre, La Peau de chagrin, il semble avoir eu très jeune le pressentiment d'un écroulement prématuré.
En août 1847, il obtient finalement du pouvoir russe un nouveau passeport pour se rendre en Ukraine. Il y arrive le 2 octobre. Il apprend au début de 1849, sans surprise, que l'Académie française a écarté une nouvelle fois sa candidature. Il espère toujours épouser la comtesse Hańska, mais la situation des amants est compliquée par la loi russe qui prévoit que la femme d'un étranger perd automatiquement ses biens fonciers, sauf oukase exceptionnel signé par le tsar. Or, ce dernier refuse sèchement. Le séjour en Ukraine ne réussit guère à l'écrivain épuisé et sa santé se détériore. Il attrape un gros rhume, qui évolue en bronchite, et son souffle se fait court. Trop faible pour voyager, il doit rester au repos de nombreux mois. Comme les relations deviennent tendues avec Mme Hańska, en raison des folles dépenses faites pour aménager la chartreuse Beaujon, il écrit à sa mère de renvoyer la bonne afin de réaliser des économies.
Le mariage peut enfin avoir lieu le 14 mars 1850, à sept heures du matin, en l'église Sainte-Barbe de Berdytchiv. Sa vanité est comblée, mais sa santé continue à se dégrader ; il est malade du cœur et les crises d'étouffement sont de plus en plus fréquentes. Les époux décident toutefois de rentrer à leur demeure de la rue Fortunée à Paris. Ils quittent Kiev le 25 avril, mais le voyage est éprouvant, leur voiture s'enfonçant parfois dans la boue jusqu'aux portières. Ils arrivent finalement à Paris le 21 mai 1850. Le docteur Nacquart, qui, avec trois confrères, soigne l’écrivain pour un œdème généralisé, ne parvient pas à éviter une péritonite, suivie de gangrène. Le romancier était épuisé par les efforts prodigieux déployés au cours de sa vie et le régime de forçat qu'il s'était imposé. La légende voudrait qu’il eût appelé à son chevet d’agonisant Horace Bianchon, le grand médecin de La Comédie humaine : il avait ressenti si intensément les histoires qu’il forgeait que la réalité se confondait avec la fiction. Il entre en agonie le dimanche 18 août dans la matinée et meurt à 23 heures 30. Victor Hugo, qui fut son ultime visiteur, a rendu un témoignage émouvant et précis sur ses derniers moments.
Lors des funérailles, le 21 août, au cimetière du Père-Lachaise (division 48), la foule était imposante et comptait notamment de nombreux ouvriers typographes. Alexandre Dumas et le ministre de l'Intérieur Pierre Jules Baroche étaient auprès du cercueil, avec Victor Hugo, qui prononça l’oraison funèbre :
« Tous ses livres ne forment qu'un livre, livre vivant, lumineux, profond, où l'on voit aller et venir, et marcher et se mouvoir, avec je ne sais quoi d'effaré et de terrible mêlé au réel, toute notre civilisation contemporaine, livre merveilleux que le poète a intitulé Comédie et qu'il aurait pu intituler Histoire […] À son insu, qu'il le veuille ou non, qu'il y consente ou non, l'auteur de cette œuvre immense et étrange est de la forte race des écrivains révolutionnaires. »
Il laissait à sa veuve une dette de 100 000 francs. Celle-ci accepta toutefois la succession et continua de verser à la mère de Balzac une rente viagère, conformément au testament qu'il avait laissé. Elle prend soin aussi de son œuvre et demande à Champfleury de terminer les romans que Balzac avait laissés inachevés. Comme celui-ci refuse, elle confie à Charles Rabou le soin de compléter Le Député d'Arcis (écrit en 1847 et inachevé) et Les Petits Bourgeois (inachevé), mais « Rabou aura la main lourde en ajoutant de longs développements de son cru aux manuscrits laissés sans plan par Balzac ». Le Député d'Arcis paraîtra en 1854 et Les Petits Bourgeois en 1856. En 1855, Mme Ève de Balzac fait publier Les Paysans (écrit en 1844 et inachevé).
Octave Mirbeau, écrivain et journaliste français, inséra dans son récit de voyage trois chapitres sur La Mort de Balzac, qui firent scandale en raison du comportement prêté à Ewelina Hańska pendant l'agonie de Balzac, selon des confidences que lui avait faites le peintre Jean Gigoux.
Opinions politiques et sociales
Il n'est pas facile de synthétiser la pensée du romancier. Comme le signale un spécialiste, « ce serait une faute de systématiser à outrance les idées de Balzac : il n'a pas cherché à le faire lui-même. Ses divers personnages représentent des moments de son intelligence, reflètent l'activité de son esprit, l'effort de ses recherches. Il en résulte des tâtonnements, des nuances, des oppositions, sinon des contradictions, qui ne se fondent pas sans heurt ».
Dérangeant les élites de son temps, Balzac, en 1840, est devenu un paria du monde politique. Un parlementaire l'accuse à la Chambre d'ébranler la société en la corrompant, de pervertir le peuple au lieu de l'éduquer et de saper les valeurs traditionnelles. Il est méprisé par le roi Louis-Philippe, qui fera interdire sa pièce Vautrin, mais lui donnera quand même la Légion d'honneur en 1845 — récompense dérisoire en comparaison du statut dont jouissaient des écrivains comme Victor Hugo et Alexandre Dumas. Écarté de la société aristocratique du faubourg Saint-Germain, qui ne veut pas se reconnaître dans l'image qu'il en donne, il n'est admis que dans les salons de seconde classe. Il inquiète les bien-pensants, qui le voient comme une réincarnation de Satan et un danger public en raison de ses idées révolutionnaires. Il est rejeté par la droite aussi bien que par la gauche.