The Beatles est un groupe musical britannique originaire de Liverpool, composé de John Lennon, Paul McCartney, George Harrison et Ringo Starr. Il demeure, en dépit de sa séparation en 1970, l'un des groupes de rock les plus populaires au monde. En dix ans d'existence et seulement huit ans de carrière discographique (de 1962 à 1970), les Beatles ont enregistré douze albums originaux et ont composé plus de 200 chansons. Une productivité particulièrement remarquable dans la période 1963-1966, où, entre les tournées incessantes et la participation à deux longs métrages, ils ont publié sept albums, treize singles et douze EPs, par ailleurs emportés dans un phénomène d'ampleur dénommé Beatlemania.
Considérées comme la « bande-son » des années 1960, les chansons des Beatles ont marqué leur décennie ainsi que les générations suivantes, et leurs mélodies ont été adaptées à de nombreux genres musicaux, notamment le jazz, la salsa, le reggae, la soul ou la musique classique et baroque. Au XXIe siècle, le groupe jouit toujours d'une grande popularité ; ses chansons sont jouées et reprises dans le monde entier. Le duo d'auteurs-compositeurs Lennon/McCartney reste célèbre comme créateur de standards qui ont fait l'objet de milliers d'adaptations dans les décennies suivantes.
Les Beatles demeurent les artistes ayant vendu le plus grand nombre de disques au monde. Ce chiffre était déjà estimé par EMI dans les années 1980 à plus d'un milliard de CD, vinyles, et même 78 tours en Inde, vendus à travers la planète, et il a continué à augmenter jusqu'à aujourd'hui atteignant un chiffre supérieur à 2 milliards. Par ailleurs, on a calculé dans les années 1970 qu'à tout moment, l'une des interprétations de la chanson Yesterday (on en dénombre plus de 3 000) était jouée par une radio quelque part dans le monde.
« Placés à la proue » de l'évolution de la jeunesse et de la culture populaire des années 1960, leur style, leur habillement, leurs discours, leurs orientations, leur popularité planétaire, leur conscience sociale et politique grandissantes au fil du temps, ont étendu l'influence des Beatles bien au-delà de la musique, jusqu'aux révolutions sociales et culturelles de leur époque.
Les deux membres des Beatles encore en vie, Ringo Starr et Paul McCartney au salon de E3 pour présenter le jeu vidéo The Beatles: Rock Band, en juin 2009.
Membres
Les Fab Four
John Lennon (né le 9 octobre 1940 à Liverpool, et mort assassiné à New York le 8 décembre 1980) a résumé les débuts du groupe ainsi : « Il était une fois trois petits garçons nommés John, George et Paul, c'étaient leurs noms. Ils décidèrent de se mettre ensemble parce qu'ils étaient du genre à se mettre ensemble. Pourquoi étaient-ils ensemble, se demandèrent-ils, pourquoi après tout, pourquoi ? Alors ils se mirent à faire pousser des guitares et fabriquèrent un bruit. Bizarrement, personne ne fut intéressé, et les trois petits hommes moins encore que tout autre. » C'est en effet lui qui fonde en 1957 son groupe, The Quarrymen, ancêtre des Beatles. Il recrute rapidement, en juillet 1957, Paul McCartney (né le 18 juin 1942 à Liverpool), puis accepte un ami de celui-ci, en février 1958, George Harrison (né le 25 février 1943 à Liverpool et mort le 29 novembre 2001 à Los Angeles)[8]. S'ils jouent, au départ, tous de la guitare, les rôles se répartissent dès 1961 avec Lennon à la guitare rythmique, Harrison à la guitare solo, et McCartney à la basse. Le quatrième membre du groupe — tel qu'il est connu sur tous ses albums — est recruté bien après les autres, il s'agit de Ringo Starr (Richard Starkey de son vrai nom, né le 7 juillet 1940 à Liverpool), qui tient la batterie à partir de l'été 1962.
Si, pour les premiers albums du groupe, les quatre garçons gardent généralement leurs guitares et batterie respectives, ils apprennent bien vite à varier, jouant du piano, toutes sortes de claviers et instruments divers, de percussions, inversant les rôles… Paul McCartney se charge ainsi du solo de Taxman à la place de George Harrison, et joue également de la batterie sur plusieurs chansons comme Back in the U.S.S.R. À l'inverse, il arrive à Lennon ou à Harrison de tenir la basse, comme sur Helter Skelter. John et Paul jouent, seuls, de tous les instruments sur The Ballad of John and Yoko. Les membres du groupe introduisent également de nouveaux sons : Paul McCartney est un des premiers à utiliser le Mellotron fin 1966, George Harrison introduit la guitare électrique à 12 cordes sur l'album A Hard Day's Night, joue de plusieurs instruments indiens, notamment le sitar, sur plusieurs chansons à partir de 1965. Il est également un pionnier de l'utilisation du synthétiseur dans le rock, sur l'album Abbey Road.
Les Beatles comptent trois chanteurs à part entière : John, Paul et George. Ils interprètent généralement, respectivement, les chansons qu'ils ont composées, le duo Lennon/McCartney étant nettement en tête sur les albums. Au niveau des chœurs, deux d'entre-eux accompagnent le chanteur principal, sans compter bien sûr les harmonies à trois voix, voire, virtuellement, jusqu'à neuf voix comme sur la chanson Because. Sur les premiers albums, Harrison chante deux ou trois reprises de standards du rock ou de chansons composées par ses camarades, avant de passer à ses propres compositions, dans les mêmes proportions. Quant au batteur du groupe, il interprète une chanson par album (à l'exception de A Hard Day's Night et Let It Be où il ne chante pas), reprise ou composée par le tandem. Dans les dernières années du groupe, il interprète cependant ses propres chansons.
Membres additionnels
Jimmy Nicol est le seul musicien à avoir joué sur scène avec les Beatles durant la Beatlemania.
Les Beatles ont, durant leur carrière, fait appel à de nombreux musiciens de studio, qu'il s'agisse de joueurs « classiques » de cuivres et de cordes (par exemple sur Yesterday ou Penny Lane), ou même d'orchestres symphoniques entiers pour des chansons comme A Day in the Life ou plusieurs titres d'Abbey Road. Leur producteur et arrangeur George Martin joue fréquemment du piano et des claviers sur leurs albums. Il arrive occasionnellement que des proches se joignent au groupe, comme Eric Clapton et Brian Jones sur certaines chansons.
Cependant, quatre musiciens occupent une place particulière. Pete Best (né le 24 novembre 1941), tout d'abord, a été le batteur du groupe de 1960 à 1962, durant les séjours des Beatles à Hambourg et leurs concerts au Cavern Club de Liverpool, avant d'être évincé à la demande de George Martin, qui le trouvait inadapté à l'image du groupe. Sa carrière ne décolle jamais par la suite, lui valant de passer à la postérité comme l'homme qui a raté de peu le succès[18]. Autre musicien des débuts du groupe, Stuart Sutcliffe (23 juin 1940 - 10 avril 1962), ami peintre de Lennon, est le premier bassiste des Beatles. Sans véritablement maîtriser son instrument, il participe aux premières tournées du groupe à Hambourg, avant de reprendre ses études d'art. Il meurt prématurément avant que le groupe ne connaisse le succès international[19].
Jimmy Nicol (né le 3 août 1939) occupe une place particulière parmi les musiciens qui ont entouré les Beatles, puisqu'il est le seul à être monté sur scène avec eux durant la Beatlemania en juin 1964. Alors que Ringo Starr est hospitalisé en urgence, Nicol est chargé de tenir la batterie pendant quelques jours durant une tournée en Europe puis en Océanie. Enfin, Billy Preston (2 septembre 1946 - 6 juin 2006) est le seul musicien à avoir participé durant presque tout un album (Let It Be) à toutes les séances en studio ainsi qu'au célèbre concert sur le toit de l'immeuble Apple, et surtout à être crédité comme musicien additionnel sur un album du groupe.
Le « cinquième Beatle »
Au cours du temps, un grand nombre de personnes ont pu prétendre au titre de « cinquième Beatle », à commencer par les quatre musiciens qui ont joué avec eux en concert, Stuart Sutcliffe, Pete Best, Jimmy Nicol et surtout Billy Preston pour son travail aux claviers sur l'album Let It Be. S'y ajoute également l'artiste et bassiste Klaus Voormann, ami du groupe depuis leurs séjours à Hambourg, qui a souvent joué avec eux durant leurs carrières en solo et a contribué à plusieurs travaux du groupe, notamment pour la pochette de l'album Revolver récompensée d'un Grammy Award.
D'autres personnes ressortent également, notamment Neil Aspinall, road manager du groupe de ses débuts à 1963, puis leur assistant personnel, et enfin président d'Apple Corps durant 40 ans, mais aussi Derek Taylor, leur attaché de presse et confident. George Harrison a déclaré que Taylor et Aspinall étaient sans contestation les deux « cinquièmes » Beatles. Certains, plus éloignés du groupe, se sont vus attribuer le titre. Le journaliste Ed Rudy s'est ainsi surnommé « le cinquième Beatle » pour avoir été le seul journaliste à accompagner le groupe durant sa première tournée américaine et en avoir tiré de nombreuses interviews. Le disc-jockey Murray Kauffman (dit Murray the K), également proche du groupe durant leur première tournée et fervent défenseur de leurs disques, assure en direct avoir été intronisé « cinquième Beatle » par George Harrison lui-même. Il s'est avéré par la suite qu'il n'en était rien. Enfin, le footballeur George Best, joueur britannique emblématique dans les années 1960, acquiert un tel statut, à l'époque, qu'il se fait humoristiquement surnommer ainsi.
De façon plus précise, deux personnes sont généralement considérées comme le « cinquième Beatle » pour leur rôle dans la carrière du groupe. Brian Epstein, manager des Beatles de 1962 à sa mort en 1967, celui qui a créé leur image et a décroché leurs premiers contrats en tant que Beatles, sur le sol anglais, poussant Paul McCartney à déclarer : « si quelqu'un a été le cinquième Beatle, c'était Brian ». C'est enfin George Martin à qui ce titre est le plus souvent accordé. C'est lui qui a engagé les Beatles sur son label Parlophone, en 1962, et qui a été leur producteur du début à la fin de leur carrière. Il a, à maintes reprises, joué des claviers sur leurs disques, a contribué à leur éveil musical, à introduire de nouveaux instruments dans leur musique, a écrit la plupart des arrangements, parmi lesquels ses fameuses partitions pour Eleanor Rigby ou All You Need Is Love.
Histoire
1957 à 1962 : la formation et les débuts
Des Quarrymen aux Beatles
« Rien ne m'a vraiment touché jusqu'au jour où j'ai entendu Elvis. S'il n'y avait pas eu un Elvis, il n'y aurait pas eu les Beatles. »
— John Lennon
John Lennon est un adolescent de Liverpool élevé par sa tante « Mimi » — Mary Elizabeth de son vrai nom. Son père, Alfred « Freddie » Lennon, un marin, a rapidement délaissé sa mère, Julia Stanley, et son enfant. Julia, qui n'a pas les moyens d'élever John seule, le confie à sa sœur Mimi. Dès qu'il découvre Elvis et le rock 'n' roll, John veut devenir musicien, se voit offrir un banjo puis une guitare par sa mère, et ne tarde pas à monter son premier groupe, The Quarrymen.
Le 6 juillet 1957, à Woolton dans la banlieue de Liverpool, John Lennon, qui a alors 16 ans, et son groupe de skiffle donnent un concert pour la fête paroissiale de l'église St. Peter. À la fin du concert, Ivan Vaughan, un ami commun, présente Paul McCartney à John Lennon. Paul prend alors une guitare et joue Twenty Flight Rock d'Eddie Cochran devant un John un peu éméché mais néanmoins très impressionné. Quelques jours plus tard, Pete Shotton, autre membre des Quarrymen, propose à Paul de se joindre au groupe. Celui-ci, qui n'a que 15 ans, accepte.
En février 1958, sur l'insistance de Paul, et malgré les réticences de John qui le trouve trop jeune, George Harrison intègre le groupe comme guitariste solo. À trois – guitaristes et chanteurs – au sein d'une formation à géométrie variable qui s'appellera à tour de rôle, The Rainbows et Johnny and the Moondogs, avec ou sans batteur, ils jouent dans les clubs de Liverpool, comme le Jaracanda, un coffee-shop dirigé par Allan Williams qui officie en tant qu'agent pour le groupe débutant. Ils se produisent également au Casbah, dirigé par Mona Best, la mère de leur futur batteur Pete Best. D'autres portes s'ouvrent ensuite, dont le Cavern Jazz Club, alors que le rock 'n' roll et le Mersey Beat, les styles des groupes de Liverpool, deviennent populaires dans cette ville.
Autodidactes, influencés par le rock 'n' roll (Elvis Presley pour commencer, mais également Chuck Berry, Buddy Holly, Little Richard, Gene Vincent et bien d'autres) ainsi que par le blues noir américain, ils jouent les morceaux de rock du moment « à l'oreille », sans partitions. Mais dès le départ aussi, John Lennon et Paul McCartney s'associent et s'entendent pour écrire ensemble des chansons, par dizaines, assis face à face avec leurs guitares dans une parfaite symétrie (Paul est gaucher), affinant leur technique au fur et à mesure. Quelques-unes d'entre elles, comme One after 909, ressortiront sur les albums des Beatles des années plus tard[6]. Ils partagent également un drame qui les rapproche : Paul McCartney a perdu sa mère Mary, terrassée par un cancer du sein en 1956, tandis que la mère de John, Julia, meurt happée par une voiture conduite par un policier ivre en 1958.
Les futurs « Fab Four » utilisent différentes variantes de leur nom (Beetles, Silver Beetles, Long John and the Silver Beatles, Silver Beats) avant de se fixer sur le mot-valise « Beatles » pendant l'année 1960. Il s'agit en fait de références au groupe accompagnant Buddy Holly, The Crickets, et au film L'Équipée sauvage avec Marlon Brando, où il est question d'un gang du nom de « Beetles » (« scarabées »). Il fait aussi référence au rythme (beat) du rock 'n' roll (appelé beat music). Les quatre adoptent définitivement cette appellation (attribuée à John Lennon et Stuart Sutcliffe) en août 1960, lorsque débute leur premier engagement sérieux, déniché par Allan Williams à Hambourg, où ils vont rencontrer Klaus Voormann et Astrid Kirchherr.
Les séjours à Hambourg
Bruno Koschmider, propriétaire de l’Indra Club et du Kaiserkeller, des établissements situés dans le quartier chaud de Sankt Pauli à Hambourg, engage donc les Beatles sur les indications d'Allan Williams.
Cinq jours avant de partir pour l'Allemagne, le 17 août 1960, ils ont auditionné et engagé Pete Best comme batteur, alors que Stuart Sutcliffe est leur bassiste depuis le début de l'année. Mais ce dernier, copain de John Lennon, qui a pu rejoindre le groupe tout simplement parce qu'il avait assez d'argent (artiste-peintre en devenir, il a vendu une de ses toiles) pour s'acheter un instrument, ne sait pas en jouer. Il se produit dos au public afin que cela ne se voie pas et « joue » même parfois sans que son instrument soit branché à un ampli. Sutcliffe tombe amoureux d'Astrid Kirchherr (qui prend les premières photos du groupe, des clichés restés célèbres) et décide de rester à Hambourg en 1961 lorsque ses camarades regagnent l'Angleterre. Entre leurs différents voyages en Allemagne, ils continuent à se produire à Liverpool et dans ses environs, se constituant un solide noyau de fans, mais restent inconnus au-delà du « Merseyside », se retrouvant notamment, en décembre 1961, à jouer devant 18 personnes à Aldershot dans la lointaine banlieue de Londres.
Paul McCartney, jusque-là guitariste au même titre que John Lennon et George Harrison, est devenu le bassiste du groupe (ses deux camarades n'étant pas enthousiastes pour tenir ce rôle) après le départ de Sutcliffe, qui décède à 21 ans le 10 avril 1962 d'une congestion cérébrale, trois jours avant que les Beatles ne posent à nouveau le pied sur le sol allemand pour un nouvel engagement de sept semaines au Star-Club.
Les Beatles font en tout cinq séjours à Hambourg (d'août à novembre 1960, de mars à juillet 1961, d'avril à mai 1962, puis en novembre et en décembre 1962), le premier d'entre eux étant interrompu simultanément par le renvoi en Angleterre de George Harrison car il est encore mineur et les expulsions de Paul McCartney et Pete Best pour avoir involontairement mis le feu à leur loge. Pour satisfaire le public des clubs de la cité hanséatique, les Beatles élargissent leur répertoire, donnent des concerts physiquement éprouvants, et recourent aux amphétamines pour rester éveillés. Les jeunes gens sont par ailleurs logés dans des conditions difficiles, voire quasiment insalubres.
D'autres groupes de Liverpool se produisent à Hambourg, comme Rory Storm and The Hurricanes, dont le batteur se nomme Ringo Starr. Les Beatles envient sa notoriété et apprécient sa compagnie. Les deux groupes partagent l'affiche de très nombreuses fois à Liverpool, et se retrouvent au Kaiserkeller du côté de la Reeperbahn pendant plus d'un mois en octobre et novembre 1960, où Ringo aura l'occasion de jouer avec eux. Selon Paul McCartney, l'intérêt pour le groupe dans sa ville de Liverpool naît au retour de Hambourg le 27 octobre 1960 lors d'un concert au Utherland Town Hall de Liverpool, salle municipale qui servait deux jours par semaine de dancing aux jeunes.
C'est aussi à Hambourg qu'ils décrochent leur premier contrat d'enregistrement, chez Polydor, en tant qu'accompagnateurs du chanteur et guitariste Tony Sheridan. Le 45 Tours My Bonnie par Tony Sheridan and The Beat Brothers est publié en octobre 1961.
« J'ai grandi à Hambourg, pas à Liverpool », dira plus tard John Lennon. Évoquant cette période des débuts, il racontera aussi : « Quand les Beatles déprimaient et se disaient : « On n'ira jamais nulle part, on joue pour des cachets merdiques, on est dans des loges merdiques », je disais : « Où on va, les potes ? », et eux : « Tout en haut, Johnny ! », et moi : « C'est où ça ? », et eux : « Au plus top du plus pop ! » (to the toppermost of the poppermost), et moi « Exact ! » Et on se sentait mieux. »
Par ailleurs, nostalgique de cette époque « cuir », on entend aussi John Lennon expliquer dans le disque Anthology 1 : « Ce que nous avons fait de meilleur n'a jamais été enregistré. Nous étions des performers, nous jouions du pur rock (straight rock) dans les salles de danse (dance halls), à Liverpool et à Hambourg, et ce que nous produisions était fantastique. Il n'y avait personne pour nous égaler en Grande-Bretagne (There was nobody to touch us in Britain). »
En 2008, Hambourg a dédié une place de la ville au groupe en hommage à leur musique.
L'apport décisif de Brian Epstein
À leur retour d'Allemagne, les Beatles ont acquis la maturité qui leur manquait, techniquement d'abord, sur scène ensuite. Après leurs deux premiers voyages formateurs à Hambourg, le 9 novembre 1961, Brian Epstein vient voir les Beatles au Cavern Club de Liverpool, le café souterrain où ils se produiront près de 300 fois jusqu'au 3 août 1963. Disquaire à l'origine, Epstein n'a jamais dirigé de formation musicale auparavant mais connaît quelques-uns des à-côtés qui mènent à la popularité d'un artiste. Il va devenir leur mentor et les propulser au rang de musiciens professionnels. Il va notamment leur faire abandonner les vêtements en cuir pour une nouvelle tenue vestimentaire et gommer ainsi leur image de sauvages.
Les Beatles devront maintenant jouer en complet-veston, comme les professionnels de l'époque, avec leur coupe de cheveux caractéristique, la moptop se différenciant de la banane des rockers ou de leurs cheveux gominés et peignés en arrière (seul Pete Best gardant cette dernière coiffure). Pour certains, Astrid Kirchherr (sous l'influence des existentialistes ou des étudiants en Beaux-Arts de cette ville), aurait été à l'origine de cette coupe de cheveux en bol lors de leur séjour à Hambourg, pendant que d'autres considèrent que ce sont John Lennon et Paul McCartney qui l'ont adoptée, à l'issue d'un court séjour à Paris en septembre 1961. Mais la « coupe Beatles » était déjà celle du personnage incarné par Moe Howard dans Les Trois Stooges, trio comique très populaire aux États-Unis dans les années 1930 à 1950.
Brian Epstein fait le tour des maisons de disques afin de leur faire signer un contrat d'enregistrement, multipliant sans succès les tentatives auprès des grandes compagnies discographiques. L'échec chez Decca restera célèbre, quand les Beatles y sont auditionnés le 1er janvier 1962 en enregistrant 15 titres en une heure. Dick Rowe, directeur artistique (A&R) chez Decca, sera surnommé dans le milieu « the man who turned down The Beatles » (l'homme qui rejeta les Beatles), pour avoir dit au jeune manager : « Rentrez chez vous à Liverpool, M. Epstein, les groupes à guitares vont bientôt disparaître. » Il laissera même le groupe repartir avec les bandes...
L'intuition de George Martin
Finalement, seul George Martin, alors producteur chez Parlophone, une division d'EMI, se montre intéressé. Début mai, Brian Epstein lui a fait écouter les bandes Decca[39], et rendez-vous est fixé pour une audition dans les studios EMI d'Abbey Road le 6 juin 1962.
Quatre jours après être revenus de Hambourg où ils honoraient un engagement au Star-Club — leur troisième séjour dans la ville allemande — les Beatles arrivent aux studios EMI de Londres, situés au 3, Abbey Road dans le quartier de St. John's Wood. C'est leur première visite dans ces studios, qu'ils rendront légendaires. George Harrison raconte ainsi leur première audition : « Les autres membres du groupe m'ont presque tué lorsque George Martin nous a enregistrés pour la première fois. En rejouant la bande, il nous a demandé : « Y a-t-il quelque chose qui ne vous plaît pas ? » Je l'ai regardé et ai dit : « Pour commencer, je n'aime pas votre cravate », et les autres : « Oh non ! On essaie de décrocher un contrat ici ! » Mais George Martin avait, lui aussi, le sens de l'humour. » « Ça a brisé la glace ! », note-t-on du côté du personnel technique des studios EMI.
George Martin a une intuition. Il décèle le potentiel des Beatles et décide de les « signer », mais il n'aime pas beaucoup le style de Pete Best et suggère de le remplacer pour les premières véritables séances d'enregistrement. Le groupe ne se fait pas prier et s'en sépare en août 1962, pour le remplacer par Ringo Starr, avec qui les affinités sont bien plus grandes. Une éviction brutale, qu'ils n'annoncent même pas eux-mêmes à Pete Best – c'est Brian Epstein qui s'en chargera. Ce renvoi ne sera pas sans conséquence. George Harrison explique : « On avait joué au Cavern Club et les gens hurlaient « Pete est le meilleur ! » (jeu de mots avec « Best » en anglais), « Ringo jamais, Pete toujours ! » C'était devenu lassant, et je me suis mis à les engueuler. Après le concert, on est sorti des loges, on est entrés dans un tunnel tout noir, et il y a quelqu'un qui m'a balancé un coup de poing dans le visage. Je me suis retrouvé avec un œil au beurre noir. Qu'est-ce qu'il ne fallait pas faire pour Ringo ! »
Les 4 et 11 septembre, ils enregistrent leur premier single, Love Me Do. Pour la version de Love Me Do présente sur l'album Please Please Me, le batteur est Andy White, musicien de studio, tandis que sur le single publié le 5 octobre 1962, c'est Ringo Starr qui tient la batterie ; George Martin ne voulait pas prendre de risques avec un autre batteur qu'il trouvait médiocre. Toutefois, Ringo Starr, qui n'a jamais oublié cette « humiliation », joue du tambourin sur la version de l'album, et ce premier titre publié par EMI sera l'un des seuls où ce n'est pas lui qu'on entend derrière les « fûts » (Paul McCartney, également excellent batteur, remplace Ringo sur Back in the U.S.S.R., The Ballad of John and Yoko et Dear Prudence).
À l'instigation de Brian Epstein, qui met à profit son expérience de disquaire, les Beatles vont désormais alterner des sorties de morceaux isolés (sur « 45 tours » ou « singles »), qui ne sont pas sur les albums, et celles d'albums dont sont extraits des singles lancés plus tard, accréditant ainsi l'idée qu'acheter un album des Beatles est une « valeur sûre » où l'on trouve déjà « les succès que les autres ne découvriront que demain ».
Pete Best, amer de son éviction des Beatles, sort son propre album en 1965, Best, of The Beatles (la virgule a son importance), avec le Pete Best Combo, dont la pochette est une photo où il est batteur du groupe et entouré des autres, mais cet album reste anecdotique. De cette époque, certains enregistrements rares et un peu marginaux des Beatles ont été très recherchés, notamment ceux qu'ils ont réalisés chez Polydor avec Tony Sheridan, les fameuses « bandes Decca » de janvier 1962 (que l'on a fini par entendre en partie trois décennies plus tard sur le disque Anthology 1), et les enregistrements de 1962 en direct du Star-Club de Hambourg, avec Ringo à la batterie, qui seront publiés en 1977.
1963 à 1966 : la Beatlemania dans le monde entier
Le 5 octobre 1962, sort Love Me Do, qui n'atteint que le 17e rang au palmarès britannique. Ce n'est pas encore la « Beatlemania », mais il s'agit là d'une grande satisfaction pour le groupe, particulièrement au moment où le titre passe de plus en plus à la radio. Leur deuxième 45 tours, Please Please Me — malgré des paroles ambiguës pour l'époque (« You don't need me to show the way, love », que l'on peut traduire par « tu n'as pas besoin que je te montre comment faire, chérie ») — est propulsé au premier rang. les Beatles obtiennent ainsi l'occasion d'enregistrer un album complet, ce qu'ils feront en 585 minutes (9h45) le 11 février 1963. Intitulé Please Please Me et sorti le 22 mars 1963, cet album atteint également la tête du hit-parade, où il se maintient durant sept mois.
Les Beatles (sans Ringo Starr, qui n'est pas encore sorti) quittent le Ritz Cinema, Fisherwick Place, à Belfast, le 8 novembre 1963.
Partie de Liverpool — où ils continuent jusqu'en août 1963 à enflammer le Cavern Club —, la popularité des Beatles se répand dans tout le Royaume-Uni, qu'ils sillonnent inlassablement, y effectuant quatre tournées cette année-là. Les succès se suivent : From Me to You en avril, puis She Loves You en août, sont classés no 1 des ventes de singles. She Loves You et son fameux « Yeah Yeah Yeah! » rend les Beatles célèbres dans toute l'Europe. Leur passage, le 13 octobre 1963, dans le très populaire show télévisé londonien Sunday Night at the Palladium marque le début du phénomène que la presse britannique baptise la « Beatlemania[6] ». Disquaires pris d'assaut, ferveur généralisée, jeunes filles en transe… Le groupe va aligner douze no 1 successifs dans les charts britanniques de 1963 à 1966, jusqu'à la publication en février 1967 du single « double face A » Strawberry Fields Forever/Penny Lane, seulement no 2 (mais premier aux États-Unis).
Le 4 novembre 1963, les quatre musiciens de Liverpool se produisent devant la famille royale au Prince of Wales Theatre de Londres, pour le Royal Command Performance, où un John Lennon, irrévérencieux, avant de se lancer dans l'interprétation de Twist and Shout, dit au public : « On the next number, would those in the cheaper seats clap your hands? All the rest of you, if you'll just rattle your jewelry! / Pour notre prochain titre, est-ce que les gens installés dans les places les moins chères peuvent frapper dans leurs mains ? Et tous les autres, agitez vos bijoux ! »
En 1963, John Lennon et Paul McCartney écrivent tout le temps, en n'importe quel endroit, dans le bus qui les amène d'un lieu de concert à l'autre, dans leurs chambres d'hôtel, dans un coin des coulisses avant de monter sur scène, dans l'urgence avant d'enregistrer, quelques fois en une seule prise, autant de titres qui vont marquer leur histoire et celle de la musique rock.
En tête des ventes d'albums, Please Please Me n'est remplacé à la première place que par le deuxième album du groupe, With The Beatles, publié le 22 novembre 1963. Ces deux disques sont exportés aux États-Unis respectivement sous les noms de Meet The Beatles et The Beatles' Second Album, en ayant préalablement subi divers traitements tels que le raccourcissement de la liste des chansons, la modification de l'ordre des pistes, ou bien celle du son (écho, stéréo, etc.) avec une nouvelle pochette.
Dans un premier temps, les maisons de disques américaines affichent leur mépris pour ce qu'elles pensent être un phénomène passager. Leur cinquième 45 tours, I Want to Hold Your Hand, est leur premier no 1 sur le marché américain et y reste du 1er février au 14 mars 1964. Il sera détrôné par She Loves You du 21 au 28 mars, suivi de Can't Buy Me Love du 4 avril au 2 mai. Le classement du Billboard Hot 100 du 31 mars 1964 aux États-Unis fait apparaître cinq titres des Beatles aux cinq premières places : la « Beatlemania » qui avait débuté au Royaume-Uni se propage de l'autre côté de l'Atlantique, et dans le monde entier.
Analyse du phénomène
La « Beatlemania » fut un phénomène d'ampleur et à plusieurs facettes. La jeunesse prend goût à se coiffer et s'habiller « à la Beatles », comme en témoignent les photos de l'époque prises dans les rues. Ils deviennent des trend-setters, expression anglophone que l'on peut traduire en français par faiseurs de mode ou leaders de tendances.
Les disquaires se spécialisent sur la discographie des Beatles, et pour mieux gérer ses stocks, la société EMI/Parlophone propose la présouscription des albums et des singles à suivre, même s'ils sont encore à l'état de projet. Les pré-commandes atteignent dès lors des sommets astronomiques : par exemple, 2,1 millions pour Can't Buy Me Love en 1964.
Des magazines spécialisés fleurissent, comme le célèbre Beatles Monthly, (aussi connu sous le nom de Beatles Book, 77 éditions de 1963 à 1969, intégralement republiées de 1977 à 1982) et se vendent comme des petits pains.
L'atmosphère hystérique des concerts rend parfois ceux-ci presque inaudibles. Le premier ministre britannique, Harold Wilson, remarque néanmoins que ces artistes constituent pour le pays une excellente exportation, notamment en termes d'image : celle de jeunes gens souriants, polis, bien habillés, et pleins d'un humour très britannique lors des interviews. Ils sont décorés par la reine du Royaume-Uni, le 12 juin 1965, de la médaille de membre de l'Empire britannique (Member of the British Empire, ou MBE). C'est en fait la plus basse des décorations. Certains MBE — dont plusieurs sont des vétérans et des chefs militaires —, froissés, renvoient par dépit leur propre croix à la Reine. John Lennon répliqua qu'il aimait mieux recevoir cette distinction en divertissant. Les vrais honneurs arrivent beaucoup plus tard, quand James Paul McCartney est anobli en 1997.
Extrêmement liés, par le simple fait qu'ils sont les seuls à « vivre la Beatlemania de l'intérieur », considérant se trouver dans l'œil du cyclone, voyant tout le monde s'agiter frénétiquement autour d'eux, se soudant autant que possible, très amis, les Beatles se voient affublés du surnom de « monstre à quatre têtes » au plus fort du phénomène.
Dans les années 1960, l'industrie musicale est en pleine expansion. Désormais, il est possible de donner des concerts dans des salles de plus en plus grandes. À la télévision, les émissions sont de plus en plus regardées par un public familial. les Beatles participent dès 1963 à de nombreux shows avec les animateurs les plus populaires de la télévision britannique et bientôt américaine, et sont les premiers à passer dans une émission diffusée en « Mondovision », dans le monde entier, le 25 juin 1967, avec la chanson All You Need Is Love.
Depuis 1965, les Beatles ne chantaient pratiquement plus qu'en playback à la télévision et Paul s'en expliquait : « Nous faisons un très important travail de studio, corrigeant inlassablement la moindre imperfection avec une précision maniaque. Pas question d'offrir aux téléspectateurs, alors que ce son existe, un autre son déformé par les mauvais studios des plateaux de TV ». Toujours en 1965, les Beatles prennent la résolution de ne plus donner d'autographes : « Nous n'avons tout simplement pas assez de bras, et nous devons tout de même pouvoir utiliser nos guitares de temps en temps ! ».
Les Beatles ont l'intelligence de mêler à des standards du rock comme Kansas City des chansons susceptibles de plaire à la génération précédente (Till There Was You, You've Really Got a Hold on Me ; Bésame mucho reste dans les cartons). À noter que ces chansons, y compris Bésame mucho, font partie du répertoire des Beatles depuis Hambourg.
Pour ne pas se faire cataloguer comme « mods » et perdre le public des « rockers », Brian Epstein a eu une idée : les Beatles, retrouvant un moment le cuir de leurs débuts, vont sortir un EP (extended play) de quatre titres de rock pur et dur (Matchbox, I Call Your Name, Long Tall Sally et Slow Down) qui est le « disque des initiés » et montre « ce que les Beatles savent vraiment faire quand ils le veulent ». Satisfaits par cet « os à ronger », les rockers ne dénigrent plus les Beatles eux-mêmes, mais les fans qui achètent leurs autres disques en ne sachant pas ce qu'est la vraie musique des Beatles, qui ont montré qu'ils savaient faire bien mieux que de la pop. Pour se concilier ce public — mais aussi pour se faire plaisir — la présence d'un « standard de rock » devient un « incontournable » des albums.
Dans le film A Hard Day's Night, tourné en noir et blanc pour ne pas coûter trop cher — mais aussi pour masquer le fait qu'ils n'ont pas la même couleur de cheveux — et réalisé par Richard Lester, les Beatles orchestrent habilement leur propre légende, avec un humour très britannique. Cet humour devient délirant avec le film suivant, Help!, sorti à l'été 1965, en couleurs, où les Beatles se moquent d'eux-mêmes. On va jusqu'à les comparer aux Marx Brothers, ce que John estime excessif. Plus tard George Harrison, quant à lui, noue une solide amitié avec Eric Idle et le groupe des Monty Python et va même jusqu'à financer le film Life of Brian.
L'humour britannique reste une composante incontournable des Beatles. Quelques exemples tirés d'interviews :
« Que craignez-vous le plus ? La bombe atomique ou les pellicules ? (ricanements)
- La bombe atomique, puisque nous avons déjà des pellicules (hurlement de rire de l'auditoire) »
« Pouvez-vous nous chanter quelque chose ?
- L'argent d'abord ! »
« Répétez-vous beaucoup ?
- Pour quoi faire ? Nous jouons déjà en concert tous les soirs, vous savez. »
« Vous jouiez autrefois des standards. Pourquoi ne le faites-vous plus ?
- Parce que maintenant, nous en créons. »
« Ringo, êtes-vous des mods ou des rockers ?
- Personnellement, je suis un moqueur » (cette réplique sera reprise dans le film A Hard Day's Night).
« Comment avez-vous trouvé l'Amérique ?
- Tournez à gauche au Groenland ! » (cette réplique sera aussi reprise dans le film A Hard Day's Night).
L'album Rubber Soul sera plus tard ainsi nommé pour pasticher l'expression « plastic soul » (qui se traduit par « âme influençable »). Rubber Sole, qui se prononce presque à l'identique, signifie « semelle de caoutchouc » !
John Lennon avait soigné son personnage avant-gardiste en écrivant en 1964 et 1965 deux livres de courtes nouvelles dans un style imagé et surréaliste, In His Own Write, puis A Spaniard in the Works. La critique de l'époque ne leur fait pas bon accueil, mais Christiane Rochefort traduit en français le premier sous le titre « En flagrant délire ».
Entre-temps, le fan club des Beatles travaille à chouchouter un réseau de fans à qui on concède des bonus comme des photos inédites et des disques hors commerce offerts à Noël : un Christmas Record sortira ainsi chaque année durant les fêtes, jusqu'en 1968. Brian Epstein intervient pour la partie organisation et George Martin pour la partie musicale. Dès le début des années 1960, George Martin fait à tout hasard enregistrer un album de musique symphonique inspirée des Beatles. Un autre, plus élaboré, suit bien plus tard pour le remplacer. Vers l'an 2000, un disque nommé Beatles Go Baroque et issu des pays de l'Est fait de même.
Passage à l'Olympia de Paris
À l'avènement de leur gloire internationale, et donc en laissant de côté leurs prestations au Star-Club de Hambourg et au Cavern Club de Liverpool, c'est à l'Olympia de Paris et durant trois semaines (du 16 janvier au 4 février 1964), à raison d'un, deux ou trois shows quotidiens, soit 41 apparitions en tout, que les Beatles ont joué le plus longtemps au même endroit.
Après un « tour de chauffe » au cinéma Cyrano à Versailles le 15 janvier, ils donnent leur premier spectacle à l'Olympia le lendemain. L'affiche est imposante et donne tout son sens au mot « Music-hall ». Daniel Janin et son orchestre, les Hoganas, Pierre Vassiliu, Larry Griswold, Roger Comte, Gilles Miller et Arnold Archer, acrobates, jongleurs, humoristes, chanteurs se succèdent sur la scène avant la deuxième partie du spectacle avec les trois têtes d'affiche au fronton du Boulevard des Capucines : Trini Lopez, Sylvie Vartan et les Beatles, passant à chaque fois en dernier.
Les passages des Beatles sont assez courts puisqu'ils ne jouent à chaque fois que huit titres : From Me to You, Roll Over Beethoven, She Loves You, This Boy, Boys, I Want to Hold Your Hand, Twist and Shout, Long Tall Sally.
La surprise pour eux, c'est que la salle est composée en majorité de garçons, et qu'ils n'entendent pas, pour une fois, les cris féminins stridents qui les accompagnent d'habitude. Au fur et à mesure, et malgré quelques incidents techniques au début, les Beatles conquièrent leur public.
Durant leur séjour à Paris, les jours de relâche leur permettent d'aller faire un tour aux studios Pathé-Marconi de Boulogne-Billancourt. Le 29 janvier, ils y enregistrent leurs deux titres en langue allemande : Komm, gib mir deine Hand / Sie liebt dich (I Want to Hold Your Hand et She Loves You). Le premier est entièrement enregistré, voix et instruments (en 14 prises), le second n'est qu'un ajout vocal sur leurs propres pistes instrumentales. Le même jour, ils mettent également en boîte un nouveau tube composé par Paul : Can't Buy Me Love.
C'est aussi à Paris que les Beatles apprennent qu'ils viennent de décrocher leur premier no 1 aux États-Unis : I Want To Hold Your Hand. Cette nouvelle provoque une grande scène de joie collective dans leur chambre du George-V ; Mal Evans raconte :
« Quand je suis rentré dans la pièce je suis resté stupéfait. Debout sur un fauteuil, John prononçait une sorte de discours dont je n'arrivais pas à saisir un mot. George donnait des bourrades à Ringo et je me demandais encore ce qui se passait quand Paul me sauta sur le dos ! Ils étaient heureux comme des collégiens en vacances et, à la réflexion, je reconnais qu'il y avait de quoi. »
La conquête de l'Amérique.
« Nous savions que l'Amérique ferait de nous des vedettes mondiales ou nous détruirait. En définitive, elle nous a faits. »
— Brian Epstein
Trois jours après leur dernière prestation à l'Olympia, une foule immense est à leurs côtés à l'aéroport londonien de Heathrow, au moment où ils s'embarquent pour le Nouveau Monde. De l'autre côté de l'Atlantique, c'est encore la foule — plus de 3 000 fans — qui les attend lorsqu'ils se posent sur le tarmac de l'aéroport international John-F.-Kennedy de New York, le 7 février 1964. Un événement majeur va secouer l'Amérique moins de 48 heures plus tard : plus de 70 millions de personnes (soit 45 % de la population) assistent en direct à leur première prestation télévisée, lors du Ed Sullivan Show diffusé sur CBS le 9 février. Une audience record pour l'époque, qui reste encore de nos jours une des plus élevées de l'histoire, hors retransmissions sportives. Certains médias iront jusqu'à dire que cet événement télévisuel a redonné le moral à l'Amérique encore profondément traumatisée, 77 jours après l'assassinat du Président Kennedy.
Après un premier concert dans des conditions difficiles au Coliseum de Washington — la scène est au milieu de la salle, comme un ring, la batterie doit pivoter et les musiciens se retourner pour faire face à une partie ou à l'autre du public, le matériel fonctionne mal, etc. — le 11 février, un autre le lendemain au Carnegie Hall de New York, et un nouveau passage dans le Ed Sullivan Show en direct de Miami le 16 février, les « Fab Four » (en français les « quatre fabuleux ») rentrent au pays. L'Amérique est emportée par la Beatlemania, un rendez-vous est pris pour une première tournée de 26 dates à travers le pays, à guichets fermés, du 19 août au 20 septembre 1964.
C'est pendant cette tournée estivale des États-Unis que les Beatles rencontrent Bob Dylan, et que ce dernier leur fait essayer la marijuana pour la première fois. Une découverte qui a une importance incontestable dans l'évolution de leur musique. La légende veut que Dylan ait pris le « I can't hide » (« je ne peux le cacher ») de I Want to Hold Your Hand pour « I get high » (« je plane ») et qu'il ne se soit ainsi pas gêné pour proposer un « reefer » aux Beatles.
L'histoire d'amour entre les Beatles et l'Amérique, où ils enchaînent les no 1 en 1964 et 1965, trouve un point d'orgue le 15 août 1965 en ouverture de leur seconde tournée de ce côté de l'Atlantique. Ce jour-là, ils sont le premier groupe de rock à se produire dans un stade, le Shea Stadium de New York, devant 56 000 fans déchaînés et dans des conditions singulières pour ce genre de spectacle dans une telle arène, sous les hurlements de la foule. les Beatles se produisent seulement munis de leurs amplis Vox, et sont repris par la sono du stade, c'est-à-dire les haut-parleurs utilisés par les « speakers » des matches de baseball. Il en résulte que ni eux ni le public n'entendent clairement une note de cette prestation historique. Les documents filmés ce jour-là démontrent cependant que les Beatles arrivent à jouer, et que c'est John Lennon qui les empêche de se retrouver paralysés par l'événement en multipliant les pitreries, comme parler charabia en agitant ses bras pour annoncer un titre en se rendant compte que personne ne peut l'entendre, ou maltraiter un clavier avec ses coudes au moment de l'interprétation de I'm Down.
Les contrats signés en 1965 par les Beatles pour qu'ils se produisent dans les arènes américaines stipulent qu'ils refusent de jouer devant un public ségrégationniste. Déjà, en 1964, le groupe avait publiquement déclaré son refus de se produire en Floride tant que le public noir n'était pas en mesure de s'asseoir là où il le désirait…
Pionniers de la British Invasion, terme utilisé aux États-Unis pour y décrire la prédominance des groupes de pop rock anglais — parmi lesquels les Rolling Stones, les Who ou encore les Kinks — au milieu des années 1960, les Beatles sont abonnés aux premières places des charts américains jusqu'à la fin de leur carrière. Ils détiennent d'ailleurs toujours, aujourd'hui, un record absolu avec 209 millions d'albums vendus sur ce seul territoire. « La musique n'a plus jamais été la même depuis lors » affirme la RIAA (Recording Industry Association of America).
Cinéma et « œufs brouillés »
Quoi de mieux que le film A Hard Day's Night (dont le titre français est Quatre garçons dans le vent) pour aborder et comprendre ce qu'était la Beatlemania en 1964 ? La bande-son de ce faux documentaire humoristique réalisé en noir et blanc par Richard Lester, qui connaît un succès international, est aussi le troisième disque des Beatles (sorti en Angleterre le 10 juillet 1964 chez United Artists Records). Le titre a été accidentellement créé par Ringo Starr ; sortant à une heure avancée des studios, il a dit « It's been a hard day » (« cela a été une dure journée »), puis s'apercevant que c'était la nuit, a ajouté « …'s night » (« …de nuit »). Il représente un tour de force de John Lennon, auteur et chanteur principal de 10 des 13 chansons. Il est à cette époque au sommet de sa prépondérance sur le groupe. C'est le premier album des Beatles à ne comporter aucune reprise, tous les titres étant signés Lennon/McCartney. Il inclut notamment la première ballade portant réellement « la patte » de Paul McCartney, And I Love Her, ainsi que de nombreux futurs no 1. Encore une fois, deux éditions différentes sont réalisées pour l'Angleterre (Parlophone - 14 titres) et les États-Unis (Capitol - 11 titres).
Pressés de toutes parts, littéralement poussés vers les studios au milieu d'incessantes tournées, les Beatles sortent dans la foulée, le 4 décembre 1964, Beatles for Sale (titre évocateur : « les Beatles à vendre »), où ils se contentent de reprendre en studio leur répertoire scénique du moment en y incluant quelques nouvelles chansons, comme Eight Days a Week, I'm a Loser, Baby's in Black et No Reply ou une très ancienne comme I'll Follow the Sun. Le disque comprend donc six reprises de rock 'n' roll et sera livré avec une pochette, qui comme celle de With The Beatles (et d'autres à venir) deviendra une des plus pastichées des décennies suivantes. Au même moment, le titre I Feel Fine de John Lennon, publié en single le 27 novembre, est no 1 durant cinq semaines. Il démarre par un « feedback » de guitare ou effet Larsen, le premier du genre dans le rock, que l'on pourrait croire accidentel, alors que cet étonnant effet est délibéré. « Je défie quiconque de trouver la présence d'un feedback sur un disque avant I Feel Fine, à moins que ce soit un vieux disque de blues de 1922 » assure John Lennon.
La « Beatlemania » bat toujours son plein en 1965, lorsque sortent le film Help! — tourné par les Beatles dans les volutes de fumée de cigarettes très spéciales — et le disque du même nom. Seule la moitié des titres de l'album fait partie de la bande-son du film dont Ringo Starr est la vedette, et trois chansons vont marquer l'histoire du groupe, autant de no 1 dans les charts. Help! d'abord, où John Lennon, il l'avoue plus tard, se met à nu en appelant au secours. Le succès, la célébrité, ne lui apportent aucune réponse, il est, dit-il, dépressif et boulimique, dans sa période « Elvis gros ». Ticket to Ride ensuite, considéré par Lennon comme le titre précurseur du hard rock avec ses effets de guitare, ses roulements de toms et sa basse insistante.
Yesterday enfin, la chanson mythique de Paul McCartney qu'il joue à tout son entourage, une fois composée sous le titre de travail Scrambled Eggs (« œufs brouillés ») se demandant sincèrement et interrogeant à la ronde pour savoir s'il a bien inventé cette mélodie ou si elle ne vient pas de quelque part, tant elle paraît évidente. Elle devient la chanson la plus diffusée et la plus reprise du XXe siècle (près de 3 000 reprises). Yesterday et son fameux arrangement pour quatuor à cordes, suggéré et concocté par George Martin en compagnie de l'auteur de la chanson qui pour la première fois, l'enregistre seul, sans les autres membres du groupe. Plus de 40 ans après, Paul mesure encore sa chance d'avoir rêvé cette chanson, de s'en être souvenu au réveil, qu'elle fut bien de lui, et qu'elle ait connu cet incroyable succès.
Le tournant de Rubber Soul[
Un soir d'avril 1965, un ami dentiste de George Harrison et John Lennon charge leur café, ainsi que ceux de leurs épouse Cynthia Lennon et compagne Pattie Boyd avec une substance pas encore illicite : le LSD. Ils découvrent donc cette drogue sans l'avoir voulu, mais John va en devenir un gros consommateur pour au moins les deux années suivantes, tous vont l'essayer (Paul, très réticent, est le dernier à en prendre, en 1966, mais le premier à en parler à la presse), et d'une façon générale, la musique et les paroles des Beatles vont encore évoluer sous l'influence de cette substance hallucinogène.
À l'automne 1965, ils enregistrent un album charnière dans leur carrière : Rubber Soul, jeu de mots à partir de Rubber sole — semelle en caoutchouc —, Soul music — la musique de l'âme — et Plastic soul — âme influençable —. Les textes sont plus philosophiques, plus fouillés (la poésie de Lennon, l'influence de Bob Dylan déjà présente dans You've Got to Hide Your Love Away de l'album Help!), aux thèmes plus sérieux. Le disque est enregistré dans l'urgence, car il doit sortir pour Noël, en quatre semaines, du 12 octobre au 11 novembre 1965.
La musique est devenue élaborée, les techniques d'enregistrement en studio sont en progression, le temps qui y est passé également. Leur immense succès est la garantie pour eux d'une liberté de plus en plus grande dans la création et la possibilité de bousculer les codes en vigueur (par exemple les horaires, ou le simple fait de pouvoir se déplacer de la salle d'enregistrement à la cabine, devant la table de mixage) dans les austères studios d'EMI. « C'est à cette époque que nous avons pris le pouvoir dans les studios » note John Lennon, ainsi que le contrôle total sur leur art.
Les locaux de ce qui s'appelle encore « studios EMI » (ils deviendront « Abbey Road » plus tard), fourmillent d'instruments en tous genres, jusqu'aux placards, et les jeunes musiciens dont l'esprit s'est ouvert en grand, intéressés désormais à toutes les formes de musique, commencent à tester et à intégrer les sons les plus divers dans leurs chansons. « On aurait pu emmener un éléphant dans le studio pour peu qu'il produise un son intéressant » raconte Ringo Starr.
C'est ainsi que George Harrison, qui vient de s'acheter un sitar car il est tombé amoureux de la musique indienne en écoutant les disques de Ravi Shankar, est amené à l'utiliser spontanément sur la chanson Norwegian Wood (This Bird Has Flown) de John Lennon. Grande première dans le rock, belle réussite et porte grande ouverte, dans laquelle pourra s'engouffrer Brian Jones pour construire quelques mois plus tard le riff du tube Paint It, Black des Rolling Stones.
Rubber Soul se caractérise par une rupture, qui est celle de la « trame 4 périodes » typique des premières chansons des Beatles : un couplet, un autre couplet, un moment d'instrumental ou pont, une reprise du second couplet. les Beatles, qui ne veulent pas devenir victimes d'un « procédé », rendent ici moins prévisible l'alternance de leurs parties chantées et vocales. Rupture encore : la quatrième chanson de Rubber Soul, Nowhere Man est la première chanson des Beatles ne parlant pas d'amour. Rupture toujours : il n'y a pas une seule reprise d'un quelconque standard du rock 'n' roll ou autre sur ce sixième disque des Beatles.
La technique d'écriture en tandem de John Lennon et Paul McCartney est alors à son apogée. Au quotidien ou quasiment, l'un amène une chanson dont la trame est plus ou moins avancée, l'autre y ajoute des paroles ou une idée musicale supplémentaire.
La chanson Girl plaît alors à une majorité — toutes générations confondues — et consacre les Beatles comme « musiciens » tout court et non « musiciens pour les jeunes ». In My Life est ce que John Lennon considère comme sa « première chanson parlant consciemment » de lui à la première personne et marque, tout comme Nowhere Man, son évolution vers des textes plus introspectifs et plus philosophiques.
Le chemin parcouru en trois ans est impressionnant. Les Beatles étaient au départ un groupe à l'harmonie vocale de qualité — leur maîtrise de la polyphonie n'a pas été étrangère à leur succès et a presque relégué aux oubliettes les précédents champions américains du genre, les Four Seasons —, œuvrant dans la plus grande économie de moyens ; en 1965, la recherche instrumentale devient prépondérante. Les harmonies vocales restent, cela dit, bien présentes (Drive My Car, Nowhere Man, If I Needed Someone, The Word, Wait), et ils continuent à s'amuser comme des garnements en chœur, comme sur le pont de la chanson Girl de John Lennon, que McCartney et Harrison ponctuent par des « Tit tit tit tit » (« nichon » en anglais). Ce motif obsédant et le grand soupir poussé par John à chaque refrain transforment ce qui aurait pu n'être qu'une simple ballade en chanson à l'atmosphère très particulière.
Dans cet album, le chanteur principal de chaque titre doit encore se prêter au fastidieux procédé dit du double tracking, qui consiste en fait à doubler systématiquement sa propre voix. Sur l'insistance de John Lennon que cela fatigue, un des ingénieurs du son des studios EMI, Ken Townsend, invente bientôt l'automatic double tracking, en connectant deux magnétophones qui se renvoient le signal enregistré. C'est un exemple des nombreuses avancées technologiques provoquées par un groupe à qui tout réussit, et qui reçoit donc en retour des moyens quasi illimités.
La compétition et l'émulation battent également leur plein entre les deux auteurs principaux du groupe : le jour de la publication de Rubber Soul (le 3 décembre 1965), sort également le 45 tours Day Tripper / We Can Work It Out. Le premier titre est de John (avec l'aide de Paul), le second de Paul (avec l'aide de John), et les deux compères se bagarrent pour figurer sur la face A du single, qui est le tube assuré. Il est alors décidé que ce seront deux faces A. Lesquelles montent de concert à la première place des charts, et ce pour cinq semaines consécutives.
À l'époque, hors de leur « compétition interne », la plus sérieuse émulation pour les Beatles vient d'outre-Atlantique. En effet, si les Rolling Stones commencent tout juste à émerger en adoptant volontairement une attitude de mauvais garçons, ce sont les Beach Boys qui opposent les qualités les plus grandes en termes d'harmonies vocales, de recherches mélodiques et de techniques d'enregistrement. L'album Pet Sounds, conçu par Brian Wilson comme une réponse aux innovations de Rubber Soul est d'ailleurs une source d'inspiration pour Revolver, le prochain album des Beatles, et l'on s'accorde généralement à dater la naissance de la « pop » de cette « partie de ping-pong » entre les deux groupes en 1965-1966.
Demain ne sait jamais
George Harrison, Paul McCartney et John Lennon (de dos) au travail avec George Martin en 1966, pendant la réalisation de Revolver
À l'été 1966, leur album suivant, Revolver, sorti le 5 août 1966 en Angleterre, est de la même veine. John Lennon est au meilleur de sa forme, inspiré, innovant avec Doctor Robert, Tomorrow Never Knows, She Said She Said et dans I'm Only Sleeping, où le solo de guitare est passé à l'envers. Paul McCartney s'affirme en mélodiste talentueux avec Eleanor Rigby, For No One et Here, There and Everywhere. Il a aussi l'idée de la chanson Yellow Submarine pour Ringo Starr. And Your Bird Can Sing reprend et développe des effets de guitare qui n'apparaissaient que discrètement à la fin de Ticket to Ride. Le sitar indien, déjà entendu dans Norvegian Wood, a séduit George Harrison ; son admiration pour l'Inde — dont il ne se départira plus — devient évidente avec Love You To. Une autre chanson de George Harrison ouvre le disque, Taxman. La galerie de thèmes et de personnages s'élargit : un percepteur, une bigote solitaire, le sommeil et la paresse, le capitaine d'un sous-marin jaune, un docteur douteux, le Livre des morts tibétain… La pochette du disque est dessinée par leur ami Klaus Voormann.
Tomorrow Never Knows (« Demain ne sait jamais », encore un accident de langage signé Ringo Starr), dernier titre de Revolver, est un cas particulier : joué sur un seul accord (le do), incluant des boucles sonores préparées par Paul, des bandes mises à l'envers, accélérées, mixées en direct avec plusieurs magnétophones en série actionnés par autant d'ingénieurs du son — une dizaine — envoyant les boucles à la demande vers la table de mixage, il ouvre l'ère du rock psychédélique et peut aussi être considéré comme le titre précurseur de la techno. Les prouesses de George Martin et des ingénieurs du son des studios EMI — à commencer par Geoff Emerick — vont jusqu'à répondre aux demandes extrêmes de John Lennon, désirant que sa voix évoque celle du Dalaï-lama chantant du haut d'une montagne. Ils élaborent cet effet en faisant passer la voix de John dans le haut-parleur tournant d'un orgue Hammond, le « Leslie speaker ». Celui-ci tourne sur lui-même pour donner au son de l'orgue un effet tournoyant, et le résultat donne à la voix de John l'impresion de surgir de l'au-delà.
« De tous les morceaux des Beatles, c'est celui qui ne pourrait pas être reproduit : il serait impossible de remixer aujourd'hui la bande exactement comme on l'a fait à l'époque ; le « happening » des bandes en boucle, quand elles apparaissent puis disparaissent très vite dans les fluctuations du niveau sonore sur la table de mixage, tout cela était improvisé. »
— George Martin, Summer of love, The Making of Sgt Pepper's
« Plus populaires que Jésus »
Une interview de John Lennon intitulée « Comment vit un Beatle ? » par la journaliste Maureen Cleave, une proche du groupe, paraît dans le London Evening Standard du 4 mars 1966. Les Beatles sont alors au sommet de leur popularité mondiale, et il déclare :
« Le christianisme disparaîtra. Il s'évaporera, décroîtra. Je n'ai pas à discuter là-dessus. J'ai raison, il sera prouvé que j'ai raison. Nous sommes plus populaires que Jésus, désormais. Je ne sais pas ce qui disparaîtra en premier, le rock 'n' roll ou le christianisme. »
Ce qui passe complètement inaperçu au Royaume-Uni — et même ailleurs, dans un premier temps — finit par devenir un véritable scandale, quelques mois plus tard, aux États-Unis, dès lors que ces propos sont repris, amplifiés et déformés sur une station de radio de l'Alabama ; il y est suggéré que les disques des Beatles soient brûlés, en représailles de ces paroles jugées blasphématoires. La « Bible Belt » américaine ne tarde pas à mettre ces propos en application.
Paul McCartney tente bien de tourner l'affaire en dérision, en déclarant « Il faut bien qu'ils les achètent avant de les brûler ! », mais le mal est fait, et le malaise profond. Ainsi, à l'aube de leur ultime tournée, le 11 août 1966 à Chicago, John Lennon est obligé de se justifier devant les médias américains :
« Si j'avais dit que la télévision était plus populaire que Jésus, j'aurais pu m'en tirer sans dommage […] Je suis désolé de l'avoir ouverte. Je ne suis pas anti-Dieu, anti-Christ ou anti-religion. Je n'étais pas en train de taper dessus ou de la déprécier. J'exposais juste un fait, et c'est plus vrai pour l'Angleterre qu'ici [aux États-Unis]. Je ne dis pas que nous sommes meilleurs, ou plus grands, je ne nous compare pas à Jésus-Christ en tant que personne, ou à Dieu en tant qu'entité ou quoi qu'il soit. J'ai juste dit ce que j'ai dit et j'ai eu tort. Ou cela a été pris à tort. Et maintenant, il y a tout ça… »
L'arrêt des tournées
Jusqu'en 1966, les Beatles enchaînent, à un rythme très soutenu, des tournées, des compositions, des séances d'enregistrement et des sorties de singles et d'albums. Mais plus leur succès grandit, plus leurs prestations publiques se déroulent dans des conditions impossibles, dans des salles ou des espaces en plein air de plus en plus grands, alors que les moyens de sonorisation sont encore balbutiants, et surtout, sous les cris stridents de la gent féminine, qui couvrent complètement leur musique. Au point qu'ils ne s'entendent pas jouer et se rendent compte finalement que le public ne les entend pas non plus.
La différence entre leur production en studio, de plus en plus complexe, et ce qu'ils arrivent à délivrer sur scène, devient flagrante. Leur répertoire scénique reste quasiment le même au fil des années — des standards du Rock 'n' roll comme Rock 'n' Roll Music ou Long Tall Sally seront notamment joués jusqu'au bout —, et ils constatent les dégâts dès qu'ils s'attaquent à des titres plus récents, par exemple Nowhere Man ou Paperback Writer : au Budokan de Tokyo, fin juin, on voit George Harrison agiter la main en saluant le public pour le faire hurler, afin de couvrir le chœur a cappella de Paperback Writer qui sonne nettement faux… Ces concerts à Tokyo ayant déclenché une demande de 209 000 billets se passent d'ailleurs dans une ambiance étouffante, les Beatles restant cloîtrés dans leur hôtel et bénéficiant de la plus grande protection policière jamais vue au XXe siècle pour un groupe ou un artiste, avec un dispositif (35 000 fonctionnaires mobilisés) de même ampleur que celui mis en place deux ans plus tôt pour les Jeux olympiques.
Après cette série de concerts dans la capitale japonaise, les événements vont précipiter leur décision de mettre un terme définitif à ce que John Lennon considère comme « de foutus rites tribaux ». À Manille, aux Philippines, ils passent tout près d'un lynchage, pour avoir malencontreusement snobé, à leur arrivée, une réception donnée en leur honneur par la redoutable Imelda Marcos, épouse du dictateur Ferdinand Marcos, la veille de leurs concerts du 4 juillet. Le groupe répondra qu'il n'avait reçu aucune invitation, ce qui n'empêchera pas la presse locale de se déchaîner ni les Philippins d'envoyer des menaces d'attentat et de mort. Toute protection policière leur est retirée lorsqu'ils repartent, une foule hostile les attend à l'aéroport, ils sont agressés, parviennent difficilement jusqu'à leur avion qui va rester bloqué sur la piste, le temps que leur manager Brian Epstein en soit débarqué pour aller se faire délester de la recette des quelques 100 000 billets vendus pour leurs deux concerts,.
Cette énorme frayeur les décide déjà à tout arrêter, mais il leur reste des dates estivales à honorer aux États-Unis. Là-bas, ils subissent les conséquences de la tempête provoquée par les paroles de John Lennon à propos du christianisme. Ils reçoivent des menaces, notamment du Ku Klux Klan et craignent réellement pour leur sécurité, alors qu'ils se produisent dans des stades dans des conditions qui restent détestables. Ils n'en peuvent plus. La dernière date de cette tournée, le lundi 29 août 1966, au Candlestick Park de San Francisco, onze titres interprétés en un peu moins de 35 minutes, sur une scène entourée de grillages, au milieu d'une pelouse où la chasse policière aux fans déchaînés bat son plein, devient leur dernier concert tout court.
« À Candlestick Park, on s'est sérieusement dit que tout ça devait s'arrêter. On pensait que ce concert à San Francisco pourrait bien être le dernier, mais je n'en ai été vraiment certain qu'après notre retour à Londres. John voulait laisser tomber plus que les autres. Il disait qu'il en avait assez », explique Ringo Starr. « Je suis sûr qu'on pourrait envoyer quatre mannequins de cire à notre effigie, et que les foules seraient satisfaites. Les concerts des Beatles n'ont plus rien à voir avec la musique. Ce sont de foutus rites tribaux », dit John Lennon. « C'était trop, toutes ces émeutes et ces ouragans. La « Beatlemania » avait prélevé sa dîme, la célébrité et le succès ne nous excitaient plus », se remémorera George Harrison.
L'arrêt des tournées marque une première fissure dans la carrière des Beatles, partant du principe qu'un groupe de rock 'n' roll qui ne joue plus sur scène n'est plus vraiment un groupe. D'ailleurs, tandis que John s'exclame « Mais qu'est-ce que je vais faire maintenant ? » — il partira en fait tourner le film How I Won the War à Almería en Andalousie, avec Richard Lester —, George déclare tout de go « Je ne suis plus un Beatle désormais ».
Il faut que Paul McCartney entraîne tout le monde dans un nouveau projet pour redonner un second souffle au groupe, un nouveau départ, loin des foules hystériques. Un projet qui consiste à envoyer une autre formation, imaginaire, en tournée à leur place. Celle du « Club des Cœurs Solitaires du Sergent Poivre ».
1967 à 1970 : les années studio
Le triomphe de Sgt. Pepper's Lonely Hearts Club Band
Adieu les tournées et les costumes « uniformes ». À la fin de l'année 1966, les Beatles s'installent quasiment à plein temps dans les studios EMI d'Abbey Road, et ils vont en exploiter toutes les possibilités. C'est le début de la période qui sera définie comme « les années studio ». Ils s'amusent à coller des bouts des chansons, à lancer des bandes de musique par terre et à les recoller au hasard, à passer des morceaux à l'envers (comme sur la chanson Rain), en accéléré, à mélanger de nombreux instruments, des violons, des instruments traditionnels, indiens, toutes sortes de claviers, ou même des orchestres. À tenter tout ce qui est artistiquement possible en s'affranchissant d'un fardeau (ils sont les Beatles et doivent en permanence se mesurer à l'image que leur public a d'eux) pour prendre l'identité d'une fanfare à la fois « Edwardienne » et complètement dans l'air du temps, qui souffle depuis la Californie. Ce concept est signé Paul McCartney.
L'album Sgt. Pepper's Lonely Hearts Club Band est publié le 1er juin 1967 : ce disque est considéré par beaucoup comme leur chef-d'œuvre et sera reconnu comme la meilleure œuvre rock de tous les temps. D'autres y voient au contraire un album d'adieu (illustré par un massif fleuri où quatre Beatles tristes du musée de cire de Madame Tussauds semblent assister à leur propre enterrement, tandis que les quatre vrais Beatles sont donc devenus des musiciens de fanfare moustachus, et où une poupée à l'effigie de Shirley Temple annonce « Welcome the Rolling Stones »). Cet album marque en tout cas leur carrière et toute une génération.
Pour répondre aux demandes et besoins des musiciens, George Martin et son équipe doivent aller de plus en plus loin. Ils inventent ainsi le « vari speed » qui permet de faire varier la vitesse de défilement de la bande (procédé qui est notamment utilisé sur Strawberry Fields Forever pour fondre deux prises différentes en une seule, ou sur Lucy in the Sky with Diamonds pour la voix de John Lennon) et le « reduction mixdown » : les quatre pistes d'un magnétophone — le maximum dont ils disposent à l'époque — sont réduites en une seule sur un autre appareil identique synchronisé, et trois nouvelles pistes sont ainsi libres. On peut multiplier ce procédé et obtenir jusqu'à seize pistes avant l'heure. Pour la première fois dans l'histoire du rock, un groupe va passer un peu plus de cinq mois en studio, de fin novembre 1966 à avril 1967, pour construire son album.
Les fructueuses séances de Sgt Pepper's ont débuté par les enregistrements des titres Penny Lane — de Paul McCartney — et Strawberry Fields Forever — de John Lennon — où chacun traite de la nostalgie de son enfance à Liverpool. La maison de disques EMI et Brian Epstein pressent George Martin de sortir un single pour l'hiver, et ce dernier livre, à contrecœur, ces chansons, qui sont tout simplement celles qui sont les plus avancées. En conséquence, ces deux titres (publiés en Angleterre le 13 février 1967) ne sont pas inclus dans l'album à venir. De manière anecdotique, ils n'atteignent pas le no 1 du palmarès britannique, et le producteur considère aujourd'hui la décision de les avoir isolés sur un single « double face A » comme une « épouvantable erreur ».
Toujours à l'avant-garde, les Beatles se mettent en scène pour le titre de John Lennon, Strawberry Fields Forever, cet hiver-là, dans un mini-film tellement innovant qu'on peut en faire le précurseur de tous les vidéo clips musicaux tels qu'on les connaît aujourd'hui.
L'écriture et la réalisation de Sgt Pepper's se poursuit intensément durant les quatre premiers mois de 1967. La collaboration Lennon/McCartney atteint encore des sommets. Ensemble, ils écrivent With a Little Help from My Friends pour Ringo Starr, créent She's Leaving Home à partir d'un fait divers, concoctent Getting Better, où l'optimisme de l'un (« It's getting better all the time / Ça va de mieux en mieux tout le temps ») est contrebalancé par le pessimisme de l'autre (« Can't get no worse / Ça ne peut pas être pire »). Enfin, un bout de chanson de John (« I read the news today oh boy… »), où il met en paroles une série de nouvelles lues dans la presse, accolé à une « ritournelle » de Paul (« Woke up, fell out of bed… »), le tout séparé par 24 mesures contenant un fameux glissando d'orchestre symphonique (clairement repris de Krzysztof Penderecki (Thrène à la mémoire des victimes d'Hiroshima, 1960) et de Iannis Xenakis (Metastasis, 1955), donnent le titre A Day in the Life. Ils écrivent ensemble la phrase
« I'd love to turn you on » (« J'aimerais te brancher ») qui fait scandale pour sa connotation « drogue » et provoque l'interdiction de la chanson sur la radio britannique.
Il est encore question de drogue, pour la plupart des observateurs de l'époque, avec le texte surréaliste — et surtout ses initiales (LSD) — de la chanson Lucy in the Sky with Diamonds. Mais John Lennon explique qu'il est en fait parti d'un dessin que son fils Julian, alors âgé de quatre ans, a ramené de sa classe de maternelle en lui expliquant que c'était sa copine Lucy O'Donnell, « dans le ciel avec des diamants ». Le compositeur, qui cite aussi Lewis Carroll et son Alice au pays des merveilles comme source d'inspiration, est le premier étonné de l'interprétation qui est faite de son titre. Lucy est également le nom donné, en honneur à la chanson, aux restes fossilisés d'un Australopithecus afarensis, sujet féminin vieux de quelque 3,2 millions d'années découvert en Éthiopie en 1974.
L'héroïne joue un rôle dans le bannissement, à l'antenne, de deux autres chansons de l'album. D'abord Fixing a Hole, dont le titre peut laisser supposer que le chanteur se fait un « fix », puis Being for the Benefit of Mr. Kite!, entièrement composée, à partir d'une affiche de spectacle de cirque du XIXe siècle, par John Lennon, troisième et quatrième chansons du groupe à être interdites de radio, à cause du personnage « Henry the horse », « horse » signifiant héroïne en argot anglais. Ce sont bien sûr des interprétations totalement erronées de la part des « autorités compétentes »… Pour répondre aux demandes de Lennon, la production de cette dernière chanson entraîne de nouvelles prouesses techniques de la part de George Martin et de son équipe.
George Martin et les Beatles ont voulu faire de Sgt Pepper's un album-concept, en reliant certains morceaux, bien que les chansons n'aient aucun rapport entre elles, passées les deux du début (la chanson-titre et With a Little Help From My Friends). Pour unifier le tout, c'est Neil Aspinall, l'assistant du groupe, qui a l'idée de faire une reprise du morceau Sgt. Pepper's Lonely Hearts Club Band comme avant-dernière piste de l'album. Ainsi, la fanfare du club des cœurs solitaires du Sergent Poivre accueille son public au début du spectacle — de l'album —, puis le salue à la fin, à travers le même morceau joué plus vite et dans une tonalité différente, en espérant que le show lui a plu. 40 ans plus tard, Paul McCartney reprend l'idée lors de sa tournée « Back in the U.S. » en 2002, en jouant la reprise de Sgt. Pepper's Lonely Hearts Club Band en avant-dernier morceau.
Sgt Pepper's fait école et tout le monde (les Rolling Stones, Moody Blues, Aphrodite's Child, The Clouds, les Who, les Kinks, et bien d'autres) voudra aussi sortir son « album-concept », quand bien même Sgt Pepper's n'en est pas vraiment un, d'un point de vue strictement musical ; il aura suffi que ses auteurs le disent pour que cela soit une réalité. En tout cas, il n'y a plus de plages séparées dans la version mono : les chansons y sont enchaînées à la manière d'un show, et l'album se termine par trois trouvailles :
- la longue décroissance — 47 secondes ! — d'un accord de piano ;
- un sifflement à 20 000 Hz, inaudible par l'homme et impossible à reproduire sur la plupart des électrophones de l'époque, mais dont John Lennon espère qu'il fera aboyer les chiens de ceux qui possèdent une bonne chaîne Hi-Fi ;
- un « jingle » sans fin sur le sillon intérieur, que ne pourront découvrir que les puristes de la Hi-Fi, ceux qui refusent d'avoir une platine à arrêt automatique en fin de disque — pour les autres, le bras se lèvera avant, ou juste au début.
L'album fait date dans l'histoire de la musique pop rock : jamais un groupe n'avait disposé d'autant de temps, de moyens et de liberté pour enregistrer un album. les Beatles exploitent donc pleinement cette opportunité et George Martin joue bien sûr un rôle-clé dans l'exploration de nouvelles techniques.
La pochette, très soignée et débordante de couleurs, a nécessité une centaine de lettres envoyées aux personnalités vivantes représentées, afin d'obtenir leur accord. Trois personnages en sont retirés « in extremis » : Hitler et Gandhi, au motif qu'ils indisposeraient le public britannique et au grand désespoir du très provocateur John. Et un troisième personnage, l'acteur Leo Gorcey, qui voulait bien figurer sur la pochette, mais à condition d'être rétribué. On juge plus simple de le faire disparaître. Cette pochette est, elle aussi, un événement. C'est la première fois qu'autant de soin est apporté au conditionnement du disque. Les paroles des chansons y sont incluses, pour la première fois également. Jusqu'ici, les pochettes se résumaient le plus souvent à une photo de l'artiste ; à partir de Sgt. Pepper's, la conception de la pochette devient un élément-clé (à la fois « marketing » et artistique) de la production d'un disque.
L'année suivante, Frank Zappa parodie la pochette avec l'album We're Only in It for the Money (« nous ne faisons ça que pour l'argent ») enregistré avec son groupe The Mothers of Invention. Un autre pastiche est réalisé pour The Rutles, une émission d'Eric Idle des Monty Python qui entreprend de caricaturer la carrière des Beatles à la manière du fameux groupe d'humoristes, avec la bénédiction — et en partie le financement — de son ami George Harrison, plus le concours de Paul Simon et Mick Jagger, qui y jouent leur propre rôle. Les pastiches des chansons des Beatles, créés pour l'émission, sont autant de clins d'œil aux « tics » musicaux de leurs modèles — Ouch! imité de Help!, Cheese and Onions qui a des accents d'A Day in the Life, Piggy in the Middle évoquant I Am the Walrus, Doubleback Alley qui est le cousin de Penny Lane, etc.
Les Bidochons parodient aussi cette pochette pour leur album The Beadochons. Elle est également pastichée pour l'album Tropical Tribute to The Beatles. Toutefois, ce n'est pas la pochette qui fait l'objet du plus grand nombre de parodies, ce titre revenant à celle d'Abbey Road (même Paul McCartney s'y met avec son album Paul is Live).
Mort de Brian Epstein et premier échec
Le 25 juin 1967, les Beatles se produisent devant plus de 400 millions de téléspectateurs à travers le monde, à l'occasion de la toute première émission diffusée par satellite, Our World. En direct du studio 1 d'Abbey Road et en « Mondovision », ils interprètent une chanson spécialement composée par John Lennon pour l'occasion : All You Need Is Love. Le triomphe est total. Le 45 tours publié le 7 juillet s'installe directement à la première place des charts et y reste trois semaines.
Le 24 juillet, paraît en pleine page dans The Times une pétition financée et signée par les quatre Beatles et leur manager intitulée « La loi interdisant la Marijuana est immorale en principe et inapplicable en pratique », un appel contre la prohibition en vigueur depuis l'instauration du Dangerous Drug Act en 1965.
Mais c'est durant ce fameux « Summer of Love » (« l'été de l'amour ») sur fond de Sgt Pepper's que Brian Epstein est retrouvé sans vie dans sa maison, à 32 ans, à la suite d'une surdose de barbituriques, le 27 août. les Beatles apprennent sa mort au retour d'un séminaire d'initiation à la méditation transcendantale avec Maharishi Mahesh Yogi à Bangor, au Pays de Galles, où chacun s'est vu délivrer un mantra. La disparition de leur manager les laisse totalement désemparés et marque une nouvelle fissure dans leur carrière.
C'est également à la même époque que Paul McCartney prend clairement les rênes du groupe, un rôle laissé vacant par John Lennon dont l'ego se dissout sous l'effet du LSD. Bourreau de travail (« workaholic »), Paul est dès lors à l'origine de la plupart des projets, la majorité des no 1 des Beatles sont son œuvre, et il n'a de cesse de lutter contre la démobilisation progressive des autres membres du groupe.
L'année 1967 se termine par l'éreintement critique de leur film Magical Mystery Tour, considéré à sa sortie (en fait, une diffusion télévisée sur la BBC à Noël) comme leur premier véritable échec. Un film tourné sans scénario — « mystérieux » même pour ses acteurs — et dont les séquences filmées des titres I Am the Walrus et Your Mother Should Know constituent les meilleurs moments. Le fait que les téléspectateurs britanniques l'aient vu en noir et blanc ne sert assurément pas sa cause. La bande-son, publiée sur un format « double EP » composé de 6 titres contient toutefois ces nouvelles perles que sont le très élaboré I Am the Walrus de John Lennon et The Fool on the Hill de Paul McCartney. Aux États-Unis, Magical Mystery Tour n'est pas un double EP, mais un album entier, sur lequel on retrouve compilés en face B les 45 tours publiés en 1967, comme les indissociables Strawberry Fields Forever/Penny Lane ainsi que All You Need Is Love et Hello, Goodbye. C'est cet album, finalement publié en 1976 au Royaume-Uni, qui intégrera la discographie officielle des Beatles à partir de la réédition de tout leur catalogue en CD au milieu des années 1980.
Les personnages du Walrus (tiré du livre De l'autre côté du miroir de Lewis Carroll), de Lady Madonna et du Fool on the Hill, ainsi que Strawberry Fields, sont également repris en référence dans Glass Onion du double album blanc en 1968 — « The Walrus was Paul » (« le morse, c'était Paul ») chante John Lennon en se moquant de toutes les folles interprétations faites autour de ses textes…
Fondation d'Apple Corps
Lorsque les Beatles, désormais « orphelins » de Brian Epstein, apprennent que leur capital peut être soit investi dans la création d'une entreprise, soit dilapidé en impôts divers, ils choisissent la première solution, débouchant sur la naissance de leur compagnie Apple Corps.
Le nom, comme le logo, proviennent d'un célèbre tableau de René Magritte acquis par Paul McCartney. Apple est créée le 19 avril 1967, et ses premiers locaux ouvrent le 22 janvier 1968, avec ses divisions Apple Records (label sur lequel leurs disques seront désormais publiés), Apple Electronics, Apple Publishing, Apple Films et Apple Retail. En plus de couvrir les finances et les activités des Beatles, la compagnie est censée apporter de l'aide à tout artiste dans le monde qui voudrait lancer un projet artistique de valeur. Durant les deux dernières années d'existence du groupe, le résultat sera pour le moins contrasté. Des rêveurs et des utopistes tels que « The Fool », un groupe de jeunes dessinateurs de mode néerlandais, et « Magic Alex », alias Alex Mardas, feront perdre des milliers de livres aux Beatles.
L'Inde et le Maharishi
Les Beatles ont décidé de partir avec leurs épouses et amis dans le nord de l'Inde, à Rishikesh, rejoindre le Maharishi Mahesh Yogi, afin de recevoir son enseignement et approfondir leur expérience de la méditation transcendantale. Du 3 au 11 février 1968, avant de se rendre au pied de l'Himalaya, ils entrent en studio pour enregistrer quatre titres (Lady Madonna, The Inner Light, Hey Bulldog et Across the Universe) qui connaîtront des destins divers en termes de publication. Ce sont les deux premiers qui sont choisis pour être publiés en single, le 15 mars, durant l'absence du groupe. Lady Madonna, écrit par Paul, est no 1 au Royaume-Uni.
Mi-février, c'est le grand départ. les Beatles intègrent l'âshram du Maharishi. Ringo Starr reste deux semaines, Paul McCartney quatre, John Lennon et George Harrison huit.
Ce séjour se traduit notamment par une des plus fécondes périodes créatives de l'histoire du groupe, puisqu'une quarantaine de chansons sont composées sur place, qui rempliront la quasi-totalité de leur prochain album, et jusqu'à leurs disques solos, après leur séparation.
Avec des années de recul, chacun des quatre Beatles soulignera tout le bien que leur a fait cette expérience, ce repos spirituel loin de la folie qui les entourait dans le monde entier, et tout ce qu'ils en ont retiré, et tous resteront à long terme des adeptes de la méditation transcendantale. Sur le moment en revanche, leurs réactions sont mitigées et vont jusqu'au terrible ressentiment de John Lennon.
« Je ne suis resté que deux semaines », raconte Ringo Starr, qui compare l'āshram du Maharishi aux camps de vacance de son enfance. « Je ne retirais pas ce que j'en espérais et la nourriture était impossible ». Second membre du groupe à quitter Rishikesh, au bout d'un mois, Paul McCartney explique : « J'étais ravi, mais je me demandais comment les autres (John et George) allaient sortir de là. Ils sont revenus en racontant que le Maharishi avait dragué une jolie américaine blonde à cheveux courts ». Il s'agit d'une rumeur concernant l'actrice Mia Farrow présente, comme une importante troupe d'occidentaux et d'amis du groupe, à ce séminaire au pied de l'Himalaya. À Rishikesh, en avril 1968, la possibilité que le « maître » ait des faiblesses coupables met John Lennon hors de lui. Il pense avoir « percé le bluff » du Maharishi, quitte l'endroit sur le champ en compagnie de George Harrison et compose la chanson accusatrice Sexy Sadie : « You made a fool of everyone / Tu t'es moqué de tout le monde ») où il présente le guru indien comme un imposteur.
Plus tard, le ressentiment envers le Maharishi s'estompe, George Harrison qualifiant ces « bruits, que les médias ont repris pendant des années au sujet du Maharishi, toutes ces conneries » comme une « pure invention ». Quant à Lennon, il explique rester totalement favorable à la méditation, ajoutant : « Je ne sais pas à quel niveau se situe le maître, mais on a passé de chouettes vacances, on est revenus frais et dispos pour jouer les hommes d'affaires. (…) Je ne regrette rien à propos de la méditation. J'y crois encore et la pratique à l'occasion ».
Cet épisode a ouvert, du jour au lendemain, l'Occident à la méditation, au yoga et à la philosophie orientale, quasiment inconnus auparavant.
Yoko Ono et l'Album blanc
Cet hiver-là, John Lennon se rapproche de l'artiste d'avant-garde japonaise Yoko Ono, qui lui écrit quotidiennement lorsqu'il se trouve à Rishikesh… avec son épouse Cynthia. « J'ai rencontré Yoko avant de partir, j'ai eu beaucoup de temps là-bas pour réfléchir. Trois mois à ne rien faire d'autre que méditer et réfléchir. Je suis rentré à la maison et je suis tombé amoureux de Yoko. Cela a mis un point final à tout ça. Et c'est magnifique » raconte Lennon. À son retour, le fondateur des Beatles consomme son amour avec Yoko et ne s'en sépare plus, délaissant Cynthia, la mère de son fils Julian qui n'a que cinq ans. Ils ne reverront quasiment plus John.
La pochette toute blanche de l'album The Beatles, plus connu sous le nom d'« album blanc » (The white album).
En mai, les Beatles entrent en studio pour enregistrer le double album blanc, dont le titre est tout simplement The Beatles, à partir du matériel majoritairement composé en Inde, sur le seul instrument dont ils disposaient, la guitare acoustique. Plusieurs chansons créées et jouées durant leur séjour, comme Dear Prudence et Julia de Lennon - sur lesquelles John met en pratique une nouvelle technique de picking, apprise de Donovan - ainsi que Blackbird, Mother Nature's Son, I Will et Rocky Raccoon, de McCartney, apparaîtront sur le disque, jouées en solo par leur auteur ou enregistrées en formation réduite.
Selon leur habitude — publier des titres sur 45 tours qui ne sont pas inclus dans les albums — les Beatles sortent en août le single Hey Jude/Revolution enregistré durant les séances de l'album blanc, qui connaît de nouveau un grand succès, malgré la longueur tout à fait inhabituelle de Hey Jude — 7 minutes dont quatre sont une répétition en chœur et crescendo de « Na na na nananana, nananana, Hey Jude ». C'est une chanson de McCartney, divisée en deux parties distinctes, destinée au fils de John, Julian, qui est unanimement saluée, tandis que Lennon a tenu à délivrer un message politique en plein bouillonnement de la jeunesse occidentale — mai 1968 en France, notamment. Dans la version rock de Revolution — celle qui figure en face B du 45 tours — il dit : « But when you talk about destruction, don't you know that you can count me out / Si tu parles de destruction, ne compte pas sur moi », alors que dans la version blues, plus lente, qui figure sur l'album blanc, enregistrée plus tôt, il avait répété la deuxième partie de la phrase en remplaçant out par in (« ne compte pas sur moi/compte sur moi »). Lennon a expliqué que, encore indécis sur ce sujet, il avait préféré, dans un premier temps, considérer les deux options… Rock & Folk, dans son numéro consacré à cet album, qualifiera la version rapide d'un peu « réactionnaire » et se félicitera de la version lente, considérée comme tournant selon lui en dérision le dénigrement de l'idée de révolution.
Ces séances à Abbey Road sont tendues, la présence de Yoko Ono dans le studio, aux côtés de John, perturbe ses camarades. L'ambiance se dégrade. Chacun enregistre souvent séparément et se sert des autres comme « musiciens de studio » sur ses propres compositions. D'ailleurs, avant de coucher sur bande le titre qui ouvre cet album, Back in the U.S.S.R., Ringo Starr se met en congé du groupe. Les « Fab Four » continuent à enregistrer : Paul McCartney se met à la batterie — il en joue donc sur Back in the U.S.S.R. mais aussi sur Dear Prudence — et George Harrison à la basse.
Ce qu'en dit Ringo témoigne bien de l'atmosphère qui régnait lors de ces séances :
« Je suis parti parce que j'éprouvais deux sentiments : celui de ne pas très bien jouer et celui que les trois autres étaient vraiment heureux, et que j'étais un étranger. Je suis allé voir John. […] Je lui ai dit : « Je quitte le groupe parce que je ne joue pas bien. Parce que j'ai l'impression de ne pas être aimé, d'être exclu. Alors que vous êtes tellement proches tous les trois ». John m'a répondu : « Je croyais que c'était vous trois qui étiez très liés ! » Je suis ensuite allé voir Paul et je lui ai dit la même chose. Paul m'a répondu « Je croyais que c'était vous trois ! » Je n'ai pas pris la peine d'aller voir George, j'ai dit : « Je pars en vacances ». J'ai pris les gosses et je suis parti pour la Sardaigne. »
Lorsque Ringo Starr revient de Sardaigne, il découvre sa batterie couverte de fleurs dans le studio d'Abbey Road. Ils se resserrent dans un tout petit espace pour enregistrer en direct le Yer Blues de John Lennon, se déchaînent en interprétant Helter Skelter de Paul McCartney : on entend même Ringo hurler « J'ai des ampoules aux doigts ! » (« I've got blisters on my fingers »), à la fin du morceau. L'origine de cette chanson est à chercher dans un article d'un magazine musical, à propos du titre I Can See for Miles des Who. Cet article disait que ce titre était d'une « violence » inouïe. Paul décide, avant même d'avoir entendu la chanson en question, d'écrire un titre encore plus violent — il se rend compte plus tard, à l'audition de I Can See For Miles, que la revue exagérait quelque peu…
La tension accumulée durant ces séances de l'été et automne 1968 retombe également lorsque George Harrison invite Eric Clapton, pour jouer le solo de guitare sur son titre While My Guitar Gently Weeps.
Publié le 22 novembre 1968, The Beatles est salué comme une grande réussite et connaît un immense succès commercial. Le public est cependant déconcerté par Revolution 9, un long collage sonore expérimental de neuf minutes, réalisé par John et Yoko. George Martin et les trois autres Beatles supplient John de retirer ce titre du disque, sans succès. Dans le genre expérimental, Lennon et Ono font encore plus fort en publiant, le même mois, leur album Unfinished Music No.1: Two Virgins, enregistré en mai 1968 le soir où ils consommèrent leur amour pour la première fois et où tous deux apparaissent nus sur la pochette.
Le projet Get Back
L'immeuble du 3, Savile Row.
Le 2 janvier 1969, les Beatles se retrouvent autour d'un nouveau projet initié par Paul McCartney : filmer et enregistrer des répétitions pour aboutir à une prestation en public, revenir aux origines, jouer « live » comme un vrai groupe de rock'n'roll, bannir tout ajout en studio, interdire le mot overdub ou les trucages en tous genres. De plus, le tout devra déboucher sur un film. Pourquoi ? Pour un futur show télévisé ? Pour montrer des répétitions avant un concert ? Pour que l'on voie les Beatles en train de créer un album ? Et si un concert doit être organisé, où et dans quelles conditions ? Le groupe a beaucoup de mal à se mettre d'accord sur les tenants et aboutissants du projet.
Les séances du projet « Get Back » — ainsi nommé d'après la chanson éponyme, qui aurait dû donner son titre à l'album en préparation — se passent mal. Les tensions initiées lors des séances de l'Album Blanc renaissent dans les froids studios de cinéma de Twickenham, à des heures matinales. La présence constante de Yoko Ono, à la limite de l'ingérence, n'arrange pas l'ambiance, tout comme le « dirigisme » de Paul. Devant des caméras tournant en continu, ils jouent de tout et de rien, beaucoup — une centaine de titres sont abordés, en quelques notes seulement pour certains — font le bœuf, jouant souvent mal et sans conviction. John Lennon apparaît largement démobilisé, tandis que George Harrison est de plus en plus excédé. Après Ringo, c'est lui qui quitte le groupe, le 10 janvier, revenant 12 jours plus tard. Son ressentiment, sa frustration de rester, en tant que compositeur, à l'ombre du tandem Lennon/McCartney et de se voir fréquemment refuser des chansons qu'il aimerait voir placées sur les disques, ne cessent de grandir.
Les Beatles se rabattent ensuite sur leur propre studio, au 3 Savile Row, où est situé le siège de leur compagnie Apple. À l'initiative de George Harrison, ils s'adjoignent Billy Preston aux claviers et finissent par donner leur ultime prestation publique sur le toit de l'immeuble, le 30 janvier 1969. Mais elle est interrompue au bout de 42 minutes par la police, à la suite de plaintes pour cause de vacarme. Les événements de ce mois de janvier 1969 figureront, un an plus tard, dans le film Let It Be, chronique de la dissolution d'un groupe. On y voit notamment George Harrison interpeller Paul McCartney : « OK, bon, je m'en fous. Je jouerai ce que tu veux que je joue, ou je ne jouerai pas du tout si tu ne veux pas que je joue. Je ferai tout ce qui pourra te faire plaisir. » Les kilomètres de bandes enregistrées en un mois sont, dans un premier temps, rangées dans un placard, tant les membres du groupe s'en montrent insatisfaits.
Le 4 mars 1969, l'ingénieur du son Glyn Johns est appelé par le groupe pour mixer un album à partir des bandes existantes. Johns compile alors plusieurs versions des chansons de ce futur disque, enregistrées live en studio et sur le toit de l'immeuble de leur compagnie, mais les Beatles rejettent l'ensemble de son travail. Il en sera tout de même issu le single Get Back/Don't Let Me Down, publié le 11 avril 1969. Le reste des bandes retourne sur les étagères.
Abbey Road, l'ultime réussite
Le passage piéton sur Abbey Road (Londres) aujourd'hui filmé 24 heures sur 24 par une EarthCam.
La plaque de la rue Abbey Road en 2006.
Avec l'idée de ne pas rester sur cet échec, Paul McCartney contacte George Martin en lui proposant de faire un disque « comme avant ». « Comme vous étiez ? Avec John ? John est d'accord ? » demande le producteur, ce que le bassiste confirme. les Beatles vont se réunir une dernière fois dans les studios EMI d'Abbey Road, durant les deux mois de l'été 1969, bien décidés à mettre de côté leurs dissensions, à tirer dans le même sens, afin de « sortir sur une note élevée ». Cependant, John Lennon rate le début des séances, le temps d'être soigné après un accident de voiture en Écosse.
Une collection de chansons, dont certaines ont été composées en Inde, enregistrées sous forme de démo à l'époque de l'album blanc, et/ou répétées en janvier 1969 pour le projet Get Back, sont retravaillées pour aboutir à l'album Abbey Road. Quoi de plus simple que de donner, à leur ultime œuvre commune, le nom de la rue — ils se font photographier sur le passage piéton, le 8 août, pour la pochette du disque — où sont situés les studios dans lesquels ils ont enregistré l'immense majorité de leurs chansons depuis sept ans ? Il aura toutefois été, un moment, question d'appeler cet album Everest, en raison de la marque de cigarettes fumées par Geoff Emerick.
Les titres d'Abbey Road évoquent les tracas et frustrations du moment, parlant d'argent qu'on n'arrive pas à obtenir, de dettes, de négociations juridiques (You Never Give Me Your Money de Paul McCartney), de poids à porter pour longtemps, de marteau d'argent qui s'abat sur la tête des gens dès que les choses vont mieux (Carry That Weight et Maxwell's Silver Hammer, Paul à nouveau), de retour du soleil après un hiver long, froid et solitaire (Here Comes the Sun, où George Harrison évoque les grands moments de tension au sein du groupe), ou encore d'un jardin sous-marin où « il n'y a personne pour nous dire ce que [nous] devons faire » (Ringo Starr dans Octopus's Garden).
C'est leur premier — et dernier — album entièrement réalisé en huit pistes, et également un des premiers dans l'histoire du rock où l'on entend du synthétiseur, un Moog en l'occurrence, acquis par George Harrison auprès de son créateur, Robert Moog.
Les harmonies polyphoniques, qui avaient rendu les Beatles célèbres, sont de retour et contribuent au succès d'Abbey Road, sorti le 26 septembre 1969 (c'est leur album le plus vendu après Sgt Pepper's). Leur sommet dans ce domaine est sans doute constitué par Because, titre que John Lennon a composé en entendant Yoko Ono jouer la Sonate pour piano no 14 de Beethoven, plus connue sous le nom de « sonate au clair de lune », qu'il lui demande de jouer à l'envers. Sur Because, les trois voix de John, Paul et George se superposent trois fois, soit une poignante harmonie à neuf voix, que l'on a pu entendre « a cappella » sur le disque Anthology 3 sorti en 1996 et, de nouveau sur Love en 2006.
La particularité d'Abbey Road est d'être constitué en partie de collages à partir de chansons ébauchées et inachevées. L'habitude fut prise de dire que la face A de l'album, qui s'ouvre sur Come Together et se referme sur I Want You (She's So Heavy) de John Lennon, reflète principalement son influence, tandis que la face B, qui contient le fameux « medley » long de 16 minutes, reflète celle de McCartney. George Harrison se montre toutefois très inspiré avec Here Comes the Sun et surtout Something, qui est son premier et son seul no 1 avec les Beatles.
Le medley, articulé autour du thème musical de You Never Give Me Your Money de Paul, et qui contient en son sein trois bouts de chansons de John (Sun King, Mean Mr. Mustard et Polythene Pam), est élaboré par George Martin et Paul McCartney. Mais, contrairement à beaucoup d'idées reçues émises postérieurement — et comme l'expliquent John Lennon et George Harrison — le groupe collabore dans son ensemble pour décider de l'ordre des morceaux, trouver de quoi remplir les mesures entre chacun, les enchaînements et les breaks.
L'apparente dernière plage du disque, qui clôture le medley, s'intitule The End et se termine par une inédite série de solos (Ringo à la batterie d'abord, puis Paul, George et John, tour à tour, à la guitare, trois fois, sur deux mesures chacun) et la fameuse phrase « And in the end, the love you take is equal to the love you make » (« et à la fin, tu reçois autant d'amour que tu en donnes »). La vraie dernière plage du dernier disque des Beatles, morceau caché par un « blanc » sur le sillon du 33 tours, est minuscule (Her Majesty) et parle d'une manière peu commune de la reine d'Angleterre. À l'origine, elle se situait au cœur du medley, entre Mean Mr. Mustard et Polythene Pam, et Paul McCartney avait demandé à l'ingénieur du son John Kurlander de la retirer. Mais ce dernier, à des fins de sauvegarde — la consigne était qu'aucun des enregistrements des Beatles ne devait être jeté à la poubelle — la place en fin de bande, après un blanc de 15 secondes, derrière The End, coupée net. Après avoir écouté le résultat, Paul donne son accord. N'étant pas créditée au dos de la pochette originale du 33 tours, Her Majesty est considérée comme la première chanson cachée (hidden track) de l'histoire du rock.
Le 20 août 1969, les Beatles complètent l'enregistrement du titre de John Lennon I Want You (She's So Heavy) : c'est la dernière fois qu'ils sont réunis tous les quatre en studio.
Même si le succès est toujours présent, même si cette ultime collaboration est « heureuse », selon les acteurs — car tous savent que c'est la dernière fois — le plaisir de jouer ensemble ne les attire plus. Les Beatles disent ici, pour de bon, adieu aux Beatles, en montrant une dernière fois l'aspect miraculeux de leur association. « Tout le monde a incroyablement bien travaillé. C'est pourquoi j'aime particulièrement cet album » dira George Martin.
« Paul est mort »
Paul McCartney est par ailleurs, au même moment, l'objet d'une incroyable rumeur, qui voudrait qu'il se soit tué dans un accident de voiture en novembre 1966 et aurait été remplacé par un sosie. Pour les partisans de cette thèse, tout est bon pour l'accréditer en 1969, grâce à plusieurs indices, dont ceux-ci :
- La pochette d'Abbey Road constitue le point de départ de cette légende urbaine. Elle fourmille d'indices pour étayer le postulat délirant : Paul traverse le passage piéton pieds nus, comme les morts que l'on enterre en Inde. La Volkswagen blanche que l'on voit est immatriculée « LMW 28 IF » soit « Living-McCartney-Was 28 years old-If » (« McCartney aurait eu 28 ans s'il était vivant », ce qui ne peut pas vraiment concorder car McCartney avait 27 ans lorsque l'album Abbey Road est sorti), il tient sa cigarette de la main droite alors qu'il est gaucher, etc.
- Les mots mystérieux de John Lennon à la fin de Strawberry Fields Forever. On l'entendrait dire « I buried Paul » (« J'ai enterré Paul ») alors qu'il prononce en fait « cranberry sauce » (« sauce aux canneberges ») ;
- La phrase « He blew his mind out in a car » (« Il s'est éclaté la cervelle dans un accident de voiture ») dans A Day in the Life. Lennon évoque en fait le jeune héritier des brasseries Guinness, Tara Brown, qui s'est tué à 21 ans au volant de sa Lotus Elan en décembre 1966 ;
- À l'intérieur de la pochette de Sgt. Pepper's, McCartney porte un badge sur lequel on peut lire « OPD », ce qui donne bien sûr « Officially Pronounced Dead » (« officiellement déclaré mort »). En fait, ce n'est pas « OPD » qui est inscrit, mais « OPP », soit « Ontario Provincial Police » ! On pourra aller aussi jusqu'à poser un miroir devant les mots « LONELY HEARTS » au centre de la grosse caisse devant laquelle pose le groupe. Cela donne « 1 ONE I X HE ^ DIE », et bien sûr les folles interprétations qui vont avec cela. Enfin, au verso de la pochette, ses trois camarades sont de face et lui, de dos ;
- La chanson Revolution 9, comme les neuf lettres de McCartney, et l'on entendrait nettement dans ce long collage sonore, œuvre de John Lennon et Yoko Ono, le bruit d'un accident de voiture… Les partisans de la thèse évoquée ici trouvent également de très nombreuses « preuves » de leurs allégations en passant Revolution 9 à l'envers… ;
La liste des indices est donc longue, et non exhaustive dans ce chapitre. Le canular, comme le tintamarre médiatique, est énorme. Paul McCartney finit par prendre l'affaire en mains pour apporter un cinglant démenti. Malgré tout, il existe encore presque cinquante ans plus tard des gens qui tentent de faire perdurer ce mythe. On trouve par exemple des dossiers sur Internet avec analyses photographiques à l'appui.
La séparation du groupe
Une fois les séances du disque Abbey Road achevées, et alors que le single Something / Come Together va occuper partout la tête du palmarès — tandis que le 33 tours restera 17 semaines no 1 en Angleterre à partir du 4 octobre —, John Lennon, de retour d'un concert à Toronto avec le Plastic Ono Band naissant, annonce aux autres Beatles qu'il quitte définitivement le groupe lors d'une réunion chez Apple, le 20 septembre 1969, en réponse à Paul McCartney qui, dans une ultime tentative de relance, propose de repartir en tournée dans des petites salles. Ils conviennent que cette nouvelle doit rester secrète, compte tenu des enjeux commerciaux (renégociation des contrats de distribution avec EMI au Royaume-Uni et Capitol Records aux États-Unis). Les Beatles se sont sévèrement disputés autour du nom de leur nouveau manager, entre Allen Klein, soutenu par Lennon, Harrison et Starr, et Lee Eastman, avocat, père de Linda, la femme de Paul. Klein, que Paul déteste, sera leur dernier manager.
Pour couronner le tout, ils perdent également la propriété de tout leur catalogue de chansons. Northern Songs était en effet détenu à 51 %, soit la majorité des parts, par Brian Epstein à travers sa société NEMS. Sa famille, une fois ce dernier disparu, et leur éditeur Dick James, administrateur de Northern Songs depuis les débuts en 1963, décident de vendre à l'empire ATV, en 1969, sans que les Beatles ne puissent rien faire. Un déboire qui pèse aussi de tout son poids dans l'ambiance délétère menant à la dissolution du groupe. C'est ce catalogue détenu par ATV que Michael Jackson rachète pour 47,5 millions de dollars en 1985.
La toute dernière session d'enregistrement des Beatles se déroule en l'absence définitive de John Lennon. Elle a lieu les 3 et 4 janvier 1970 avec le titre de George Harrison I Me Mine, et on entend ce dernier, en introduction de la version publiée sur le disque Anthology 3, lâcher une plaisanterie à ce sujet : « You all will have read that Dave Dee is no longer with us, but Mickey and Tich and I, just like to carry on the good work that's always gone down in number two », ce qui signifie : « Vous aurez tous lu que Dave Dee n'est plus avec nous, mais Mickey, Tich et moi apprécions de poursuivre le bon travail qu'on a toujours fait au [studio] numéro deux » ; ces noms faisant référence à un groupe britannique populaire du moment, Dave Dee, Dozy, Beaky, Mick & Tich. Quatre mois s'écouleront encore sans aucune activité musicale commune, avant que la séparation ne soit rendue publique.
En mars, à l'initiative d'Allen Klein, et avec les accords de John Lennon et George Harrison, les bandes enregistrées en janvier 1969, ce qui deviendra l'album Let It Be, sont confiées au producteur américain Phil Spector. Lequel ajoute chœurs féminins, arrangements de cordes, effets sonores à ces chansons qui devaient rester « brutes ». En entendant le résultat sur son titre The Long and Winding Road, Paul McCartney, qui n'a pas été consulté, pique une énorme colère. Il expédie une lettre adressée à Allen Klein chez Apple dont les derniers mots sont : « Ne refaites plus jamais ça ! » Cela ne retire rien au succès de cet album publié le 8 mai 1970, et des chansons Get Back, Let It Be et The Long and Winding Road, toutes no 1 des deux côtés de l'Atlantique.
Le 10 avril 1970, peu de temps avant la sortie de Let It Be produit par Spector, Paul McCartney sort son premier album solo, McCartney, et annonce à travers un communiqué de presse (en fait, une « interview » où il fait les questions et les réponses) inséré dans les pressages « promotionnels » de son disque solo qu'il ne fait plus partie du groupe à la suite de « désaccords sur les plans personnel, financier et artistique ». Il rompt donc lui-même le secret et s'attribue la séparation, ce qui aura le don d'outrer ses camarades. John Lennon ne lui pardonnera jamais cette attitude qu'il interprète comme un simple coup publicitaire dans le but de faire vendre l'album McCartney.
« Je n'avais pas l'intention que ce communiqué signifie que je quittais le groupe. C'est un gros malentendu. Quand j'ai vu les unes des journaux, j'ai juste pensé : « Christ, qu'ai-je fait ? » Et maintenant, on y est. Je n'ai pas quitté les Beatles. Les Beatles ont quitté les Beatles, mais personne ne veut être celui qui dira que la fête est terminée », se justifie Paul à chaud.
Ringo Starr déclarera de son côté : « Oui, j'étais dans les Beatles. Oui, nous avons fait des grands disques ensemble. Oui, j'aime ces gars. Mais c'est la fin de l'histoire. »
« J'ai fondé les Beatles et je les ai dissous, c'est aussi simple que cela », dira plus tard John Lennon.
Depuis 1970
Lennon, McCartney et Harrison avaient dans leurs cartons un nombre impressionnant de chansons composées, pour certaines ébauchées et répétées en groupe, voire enregistrées, depuis le séjour en Inde et les séances de l'album blanc, et non incluses dans les disques des Beatles. En 1970, George Harrison sort un triple album, All Things Must Pass puis organise, le 1er août 1971 au Madison Square Garden de New York, le tout premier concert rock de charité, le Concert for Bangladesh, en faveur du Bangladesh, avec Bob Dylan, Eric Clapton, Ravi Shankar, Billy Preston et l'ami Ringo Starr, encore un triple album live à la clé. Paul McCartney commercialise son premier disque solo au titre éponyme, puis Ram, avant de fonder les Wings. John Lennon sort des singles engagés (Give Peace a Chance, Instant Karma!, Power to the People), un Live Peace in Toronto, suivi de l'album John Lennon/Plastic Ono Band, puis le très célèbre Imagine. Succès pour tous, à commencer par George qui signe le premier hit post-Beatles, My Sweet Lord (titre pour lequel il a été condamné pour "plagiat involontaire").
De son côté, John règle ses comptes avec Paul dans l'album Imagine, avec le titre How Do You Sleep? (« Comment dors-tu ? ») où il dit, à propos de son ex-ami : « The only thing you done was Yesterday » (« La seule chose que tu as faite, c'était Yesterday », jeu de mots entre « hier » et le titre de la chanson no 1 en 1965) et « Those freaks was right when they said you was dead » (« Ces maboules avaient raison de dire que tu étais mort »).
Paul, lui, a estimé juste d'intenter fin décembre 1970 un procès à ses trois camarades, afin de mettre un terme définitif à l'entité juridique Beatles et surtout, dans son esprit, d'empêcher le toujours manager du groupe, Allen Klein, de faire main basse sur l'argent qui continuait à couler à flots. « Il me fallait emmener les autres Beatles au tribunal. Et j'ai ressenti une grande culpabilité à cause de ça. Mais dites-moi ce que vous auriez fait si tout ce que vous aviez gagné – et c'était la totalité des revenus des Beatles, un montant énorme, tout ce que nous avions jusqu'à quelque chose comme Hey Jude – était sur le point de disparaître dans la poche de quelqu'un ? Le gars dont je parle, Allen Klein avait empoché cinq millions de livres pour sa première année en tant que manager des Beatles. J'ai senti l'arnaque et je me suis dit : « Cinq millions en une année ? Combien de temps cela lui prendra-t-il pour se débarrasser de tout ça ? » Et j'ai pensé : « Bien, je vais le sortir de là, je vais attaquer ce gars, Klein ». Ils m'ont répondu : « Tu ne peux pas, car il n'est pas partie prenante de la plupart de nos accords ». « Il est donc devenu clair que je devais attaquer les Beatles », expliquera Paul McCartney. La dissolution juridique du groupe sera finalement prononcée en 1975. Il répondra aussi à John dans le premier disque des Wings, Wild Life, fin 1971, avec la chanson Dear Friend : « Are you afraid or is it true? » (« As-tu peur ou est-ce vrai ? »).
Curieusement, lorsqu'il s'agira pour Paul et John de jouer, chacun de son côté, au jeu du « qui a fait quoi ? » sur les plus de 200 titres cosignés Lennon/McCartney, ils se montreront globalement d'accord, à de très rares exceptions près (notamment In My Life et Eleanor Rigby) entre ce qui est à 100 % de l'un, à 100 % de l'autre, à 50-50, à 60-40 ou à 80-20.
On offrira aux Beatles des millions de dollars pour qu'ils acceptent de reformer leur groupe. En février 1976, six années après leur séparation, un promoteur pop de Los Angeles, Bill Sargent, leur propose, pour un seul concert d'un minimum de vingt minutes retransmis à travers le monde, la somme de cinquante millions de dollars. Les Beatles refusent. Sept mois plus tard, le 20 septembre 1976, un autre promoteur, Sid Bernstein, leur offre publiquement 230 millions de dollars pour un concert de charité. Fin de non-recevoir. Plus jamais, par la suite, un artiste ne se verra proposer de tels montants astronomiques pour un seul concert. À ce sujet, Paul McCartney précise, en septembre 2009, à l'occasion de la sortie combinée de tout leur catalogue remasterisé et du jeu The Beatles: Rock Band : « En fait, nous en avons beaucoup discuté. Et nous nous sommes toujours dits que si nous le faisions, ce ne serait peut-être pas génial, alors que la carrière des Beatles l'avait été. Et même si les offres étaient astronomiques, et qu'il y avait des gens pour nous dire : « On vous payera tant pour le faire », nous nous sommes mis d'accord sur le fait que la boucle était bouclée et qu'il y aurait quelque chose de pas juste là-dedans »,
Si « discussions » il y a, un drame y met un terme définitif : John Lennon, revenu à son métier de musicien après cinq années de retrait de la vie publique, est assassiné à 40 ans, le 8 décembre 1980 par Mark David Chapman, un déséquilibré à qui il avait signé un autographe quelques heures plus tôt, au pied de son appartement du Dakota Building à New York. Dès lors, George Harrison aura ce trait d'humour : « les Beatles ne se reformeront pas tant que John Lennon restera mort » («… there won't be a Beatles reunion as long as John Lennon remains dead.»). Le plus jeune des Beatles décède à Los Angeles d'un cancer généralisé à 58 ans, le 29 novembre 2001.
Une popularité jamais démentie
Pendant les quatre décennies qui suivent leur séparation, les Beatles restent un groupe très populaire. En 1973, sortent les deux fameuses compilations, le Red Album (1962-1966) et le Blue Album (1967-1970). Sur les pochettes de ces doubles albums, les Beatles posent en 1963 dans les étages des locaux d'EMI (même image que sur leur premier disque, Please Please Me), et sont dans la même position en 1969 : c'est la photo qui avait été prise pour l'album Get Back, en préparation au début de l'année. Les compilations rouge et bleue atteignent des sommets en matière de ventes, permettant à toute une génération — celle qui succède aux « baby boomers » et était encore un peu trop jeune pour vivre la Beatlemania — de découvrir leur musique à travers un choix de titres très judicieux. Ce sont les deux doubles compilations posthumes — parues après la dissolution d'un groupe — les mieux vendues du XXe siècle.
Il en va exactement de même en 2000 avec une autre compilation, 1, où figurent les 27 chansons des Beatles ayant atteint la première place des ventes entre 1963 et 1970, en Grande-Bretagne et aux États-Unis. Bien que cette compilation soit parue 30 ans après la séparation des Beatles, c'est à ce jour l'album le plus rapidement écoulé de tous les temps : publié le 13 novembre 2000, il s'est vendu à 13,5 millions d'exemplaires dans le monde, dans son premier mois de commercialisation.
Entre-temps, sont publiés en 1988 deux disques que l'on peut considérer comme indispensables pour qui voudrait posséder la discographie complète des Beatles : les Past Masters, Volume 1 et Volume 2. Là, sont recensées toutes les faces A et B des 45 tours publiés entre les albums, et qui n'y figuraient donc pas. Cela va de From Me to You et She Loves You à Don't Let Me Down et The Ballad of John and Yoko en passant par I Feel Fine, Day Tripper, We Can Work It Out, Paperback Writer, Rain, Hey Jude ou Revolution.
Il y a également un album live, At the Hollywood Bowl, produit par George Martin et publié en avril 1977, enregistré lors de concerts donnés à Los Angeles en 1964 et 1965, puis une compilation des prestations des Beatles sur la radio nationale britannique, Live at the BBC, sortie en 1994.
Mais le projet le plus important de ces années post-Beatles porte le nom d'Anthology. Il réunit Paul McCartney, George Harrison, Ringo Starr (qu'on surnomme pour le coup les « Threetles ») et leur producteur George Martin avec trois doubles albums sortis entre 1994 et 1996, un film (en fait, une série télévisée disponible aujourd'hui en coffret DVD) et un livre (traduit en français en 2000). Chaque double album, publié chronologiquement, propose des versions alternatives de leurs chansons, des « live » datant des débuts du groupe, des documents sonores rares, des prises différentes, des essais, des expériences — comme n'entendre que les violons d'Eleanor Rigby, ou que les voix de Because — sans oublier deux nouvelles chansons des Beatles. Il s'agit, au départ, d'enregistrements sur cassette de John Lennon au milieu des années 1970, durant sa période de retrait de toute activité publique : Real Love et Free as a Bird, que Yoko Ono confie aux autres Beatles survivants pour qu'ils y ajoutent leurs voix et leurs
instruments, le tout produit par Jeff Lynne.
Si les Beatles ont été consacrés 5es meilleurs vendeurs d'albums aux États-Unis durant les années 1990, la décennie suivante (années 2000) les verra terminer en première place (en fonction des ventes générées par la réédition de tout leur catalogue remasterisé) ou en deuxième position avec plus de 28 millions d'albums vendus avant le 9 septembre 2009.
Le nettoyage posthume
Enfin, Paul McCartney prend sa revanche en 2003, avec le disque Let It Be… Naked (c'est-à-dire « nu ») qu'il fait publier avec l'accord donné juste avant la mort de George Harrison et avec celui de Yoko Ono. Débarrassé de toute la production de Phil Spector, permettant donc d'entendre ces chansons enregistrées en direct sans aucun ajout en studio, ce disque s'accorde avec le projet original. L'ordre des morceaux est modifié par rapport au Let It Be de 1970 et Don't Let Me Down de John Lennon y est inclus. Pour dramatiser le double objectif d'un retour aux sources et d'une simplicité voulue, sa pochette reprend les négatifs des photos de Let It Be et en noir et blanc.
La version fait découvrir que les Beatles n'avaient, à cette époque, rien perdu de leur cohésion initiale et avaient même, pour peu que le mixage fût bien fait, un son qui ne cédait rien en qualité et en simplicité à celui de leurs tout premiers albums. Le résultat aurait fait dire à George Martin, à propos de Phil Spector qui se débat, au même moment, avec la justice dans une accusation de meurtre : « Après avoir entendu cet album [Let it Be… Naked], je me rends compte que Spector s'était rendu coupable de bien plus grave que le meurtre dont on l'accuse… »
Pour finir, et une fois de plus sous la houlette de George Martin, aidé cette fois par son fils Giles, le disque Love sort en novembre 2006. Il s'agit d'un « patchwork » de la musique des Beatles, fait de titres remixés et de « mash-up » (plusieurs chansons emmêlées), préparé au départ pour le spectacle donné par le Cirque du Soleil au Mirage de Las Vegas.
Concernant la restauration, tant attendue par les fans, du film Let It Be, Paul McCartney et Ringo Starr s'opposent à ce que le film soit à nouveau lancé sur le marché. En effet, les deux seuls membres des Beatles toujours vivants estiment que cette réédition n'apportera rien de plus au public que de leur montrer le côté sombre de toute cette aventure. Ni l'un ni l'autre ne seraient à l'aise avec l'idée de publiciser un film montrant les Beatles en train de se taper sur les nerfs les uns les autres. En résumé, il est fort peu probable que tout cela soit un jour diffusé, au moins du vivant de Paul et de Ringo.
Réédition de tout le catalogue remasterisé
La remastérisation, maintes fois repoussée, de tous les albums des Beatles, incluant les Past Masters, Volume One et Past Masters, Volume Two, est disponible depuis le 9 septembre 2009 en CD. La publication des quatorze albums studio — les douze albums originaux, la B.O. du film Yellow Submarine, plus les deux Past Masters réunis en un seul album — constituent un important dépoussiérage et une amélioration notable par rapport à l'austère réédition CD de 1987. La publication de tout le catalogue numérisé et en stéréo — les remasters des premiers albums étant aussi proposés en mono — s'est faite en même temps que celle du jeu vidéo The Beatles: Rock Band. La date de commercialisation choisie (09/09/09) n'est pas un hasard, dans la mesure où on peut aussi bien la rattacher au célèbre « number nine » entendu tout au long du titre Revolution 9 de John Lennon et Yoko Ono, sur l'album The Beatles, qu'à la chanson One After 909, une des premières compositions du tandem Lennon/McCartney à la fin des années 1950, enregistrée une première fois en 1963 par le groupe, mais qui ne fit surface qu'en 1970 sur Let It Be.
« Chaque coffret CD propose la réplique des pochettes originales des albums britanniques, ainsi que des livrets complets contenant de nouvelles notes historiques en compagnie d'informations sur les enregistrements, et des photos rares. Pour une période de temps limitée, chaque CD contiendra aussi un court film documentaire sur chaque album. […] Les albums ont été remasterisés par une équipe d'ingénieurs, dédiée aux studios Abbey Road sur une période de quatre ans, utilisant une technologie de pointe en même temps que les équipements de studio de l'époque, afin de précautionneusement maintenir l'authenticité et l'intégrité des enregistrements analogiques originaux. Le résultat de ce processus laborieux est le catalogue de la plus haute fidélité depuis les publications originales », explique la compagnie Apple.
La mise en vente du catalogue remasterisé se présente sous la forme de deux coffrets : 14 albums en stéréo, et 11 albums en mono. Seuls les disques en stéréo sont vendus à l'unité. Pour écouter les Beatles dans la forme sonore où tous les albums ont été conçus jusqu'en 1968, il faut donc se procurer le coffret entier pour un prix d'environ 235 euros en Europe. Les premiers chiffres de vente, une semaine après la commercialisation du catalogue, font apparaître un formidable succès commercial, entraînant le retour du groupe au sommet des charts des deux côtés de l'Atlantique (2,25 millions de copies vendues en 5 jours), tandis que les distributeurs font face à des ruptures de stock. C'est l'album Abbey Road qui devance toutes les autres œuvres du groupe en tête des ventes et des classements. Moins de cinq mois après la parution de ces remasterisations, environ 13 millions d'albums ont déjà été vendus.
Lancement du catalogue en téléchargement légal
Depuis le 16 novembre 2010, tout le catalogue Beatles est disponible en téléchargement légal sur iTunes. C'est la conclusion du différend judiciaire entre Apple Corps et Apple computer qui a duré près de 30 ans pour s'achever sur un accord à l'amiable en avril 2007, et dont on attendait qu'il débouche sur la mise en ligne des titres et des albums du groupe phare des années 1960. Un peu moins de trois ans plus tard, c'est désormais chose faite. Le lancement du catalogue « dématérialisé » sur Internet a été précédé d'une annonce sur iTunes le 15 novembre : « Demain est un jour que vous n'oublierez jamais. Revenez demain pour découvrir une annonce exceptionnelle » avec quatre horloges indiquant l'heure du lancement, en Californie, à New York, à Londres et à Tokyo, soit précisément 16h00 le 16 novembre 2010 heure de Paris. L'ironie de cette affaire veut que le catalogue de chaque Beatle en solo — Paul McCartney, John Lennon, Ringo Starr et George Harrison — soit depuis longtemps disponible.
Albums officiels
Il s'agit des albums Parlophone (puis Apple) publiés au Royaume-Uni (et aussi en Italie, en Grèce, aux Pays-Bas , dans les pays scandinaves, en Inde, etc.) et dans certains autres pays, sous l'étiquette Odeon (en Allemagne, en France, en Espagne, en Argentine, etc.) où le standard était de 14 chansons par album. Jusqu'à Revolver, ils furent redécoupés pour les États-Unis où le standard du label Capitol Records était de 11 chansons par album seulement, donnant naissance à d'autres titres d'albums : Meet The Beatles!, Something New, Yesterday and Today, etc. D'autres labels, comme Musart Records au Mexique publieront aussi des versions raccourcies.
- Please Please Me (22 mars 1963)
- With The Beatles (22 novembre 1963)
- A Hard Day's Night (10 juillet 1964)
- Beatles for Sale (4 décembre 1964)
- Help! (6 août 1965)
- Rubber Soul (3 décembre 1965)
- Revolver (5 août 1966)
- Sgt. Pepper's Lonely Hearts Club Band (1er juin 1967)
- The Beatles (« White Album ») (22 novembre 1968)
- Yellow Submarine (17 janvier 1969)
- Abbey Road (26 septembre 1969)
- Let It Be (8 mai 1970)