Sherpa du président de la République François Mitterrand (1991-1995)
En février 1990, elle est nommée chargée de mission pour l’économie internationale et le commerce extérieur à la Présidence de la République, auprès de François Mitterrand, pour remplacer Marc Boudier. En novembre 19902, elle en devient secrétaire général adjointe, Jean-Louis Bianco étant secrétaire général de la présidence, puis, en décembre 1990, « sherpa » du président, c’est-à-dire sa représentante personnelle, chargée de préparer les sommets internationaux comme ceux du G7 puis G8. Par la suite, elle est présentée comme proche du Parti socialiste.
Le magazine Time la classe alors parmi les cent personnes les plus influentes dans le monde.
En 1995, Anne Lauvergeon devient associée-gérante de la banque franco-américaine Lazard Frères. Rapidement en conflit avec le gendre et dauphin du PDG, Édouard Stern, notamment parce qu'elle prend au conseil d'administration de Pechiney un siège qu'il convoitait, elle démissionne à peine deux ans plus tard.
Entre-temps, elle intégra la promotion 1996 des « Young Leaders » de la French-American Foundation.
En mars 1997, Serge Tchuruk recrute Anne Lauvergeon dans le Groupe Alcatel pour son carnet d'adresses. Elle y est nommée directrice générale adjointe, avant d’entrer au comité exécutif du groupe en 1998. Elle supervise l'ensemble des activités internationales du Groupe et est responsable du secteur des Participations Industrielles du Groupe dans la défense, l'énergie, les transports et le nucléaire. Elle y restera aussi moins de deux ans, étant appelée à la tête de la Cogema.
En juin 1999, Dominique Strauss-Kahn étant ministre de l'Économie, des Finances et de l'Industrie du gouvernement de Lionel Jospin, Anne Lauvergeon est nommée présidente-directrice générale du groupe Cogema, en succession de Jean Syrota.
Avec le slogan « Nous n'avons rien à vous cacher », Anne Lauvergeon instaure une culture de communication grand public dans une structure plus habituée au secret. Dans le cadre de cette politique de transparence, elle fait installer des webcams dans l'usine de retraitement de la Hague, accessibles depuis un site internet créé en novembre 1999.
Deux visions concurrentes s'affrontaient quant à la stratégie future de Framatome : se concentrer sur sa nouvelle activité de connectique ou cultiver son activité industrielle historique. En 2001, l'État donne son aval à Anne Lauvergeon qui proposait de construire un groupe nucléaire intégré, de l'exploitation au retraitement en passant par la fabrication de réacteurs, en rachetant à Alcatel ses participations dans Framatome. Elle fonde en juillet 2001 la nouvelle entité qu'elle baptise Areva. Les Échos avaient écrit que la construction de la nouvelle entité industrielle avait la rigueur et la simplicité des abbayes cisterciennes. Gérard Lauvergeon, son père, suggère ainsi le nom de l'abbaye espagnole Arevalo, « Areva » par apocope. Elle en est nommée présidente du Directoire, entrant ainsi dans le cercle restreint des dirigeantes de groupes d’envergure internationale.
En novembre 2002, alors qu'Anne Lauvergeon est toujours la présidente de la Cogema, l'une des composantes d'Areva, Libération révèle l'histoire d'un rapport d'audit interne qui fait état de dérapages financiers, d'infractions au droit du travail et de risque de trafic d'influence. Ce rapport a été commandé par Anne Lauvergeon mais a été enterré avec l'aide d'un membre du cabinet Salustro-Reydel, commissaire aux comptes de la Cogema. Un commissaire aux comptes ne doit pourtant pas s'immiscer dans la gestion de l'entreprise. Parmi les critiques du rapport, un risque de trafic d'influence en lien avec les prestations facturées par Gimar Finance, dirigée par Christian Giacomotto, comme banque conseil de la Cogema lors de la création d'Areva, alors que peu de documents ont été produits en contrepartie. D'après Les Échos de juin 2002, la Cour des comptes enquête sur les commissions des conseils de la Cogema versées après la constitution d'Areva en septembre 2001. D'après le Canard Enchaîné du 13 novembre 2002, cité par Libération, le parquet de Paris enquête sur les prestations de Gimar. Aucune suite n'est donnée à ces enquêtes.
Surnommée « Atomic Anne » par la presse américaine, elle entraîne son groupe dans un développement énergique hors de France. Areva devient numéro un mondial du nucléaire. Pour mener à bien son expansion dans un secteur international très concurrentiel, elle s'appuie sur un réseau influent, constitué notamment de membres du corps des mines, de puissants appuis au Parti socialiste, de personnalités françaises et étrangères rencontrées lors de son passage à l'Élysée et au sein de laboratoires d'idées internationaux, mais aussi sur les syndicats, notamment la CFDT.
Elle reproche à l'État, actionnaire de référence, son manque de vision stratégique. Son indépendance passe difficilement parmi les autorités de tutelle, par exemple quand on lui refuse en 2004 de surenchérir pour le rachat du fabricant d'éoliennes, le danois Bonus, devenu filiale de Siemens, puis pour l'allemand REpower Systems acquis par l'indien Suzlon Energy, ou quand l'introduction en bourse d'Areva est repoussée en 2005.
En 2006, Jacques Chirac reconduit Anne Lauvergeon, malgré l'avis du ministre de l’Économie et des Finances Thierry Breton. L'année suivante, au lendemain de l'élection présidentielle française de 2007, elle refuse de Nicolas Sarkozy un poste de ministre, préférant rester chez Areva. Cela expliquerait ses relations tendues avec le nouveau président de la République. Celui-ci la nomme néanmoins à la Commission pour la libération de la croissance française, dite Commission Attali, en 2008, en qualité de personnalité qualifiée dans le domaine scientifique et industriel.
Elle résiste également au projet présidentiel de prise de contrôle de la partie « réacteurs » du numéro 1 du nucléaire par Bouygues et Alstom. Henri Proglio, nommé à la tête du premier client d'Areva, EDF, s'oppose régulièrement à elle. Anne Lauvergeon se voit d'ailleurs reprocher l'échec de la vente de quatre réacteurs nucléaires à Abou Dabi, imputable selon elle au manque de vision stratégique d'EDF. Invoquant d'autres priorités, le PDG d'EDF Pierre Gadonneix refuse de s'associer à Areva pour cet appel d'offres. Areva se tourne alors vers GDF Suez. Seulement, début 2009 l'exécutif décide de confier la construction du deuxième EPR français à EDF, un camouflet pour GDF Suez. Dès lors, les Emiratis demandent à ce qu'EDF rejoigne le consortium, ce qui fera perdre plusieurs mois au projet français qui ne remportera finalement pas l'appel d'offres.
Elle doit en revanche accepter la cession d'Areva T&D devant la dégradation des comptes du groupe, conséquence des retards de l'EPR finlandais construite en consortium avec TVO à partir de 2003, et des besoins de financement des investissements du groupe. Ces oppositions en série renforcent les rumeurs d'éviction du groupe nucléaire, qui alternent avec les spéculations d'une reconduction pour un troisième mandat.
Les axes stratégiques suivis par Anne Lauvergeon à la tête d’Areva et son manque d'écoute sont critiqués par certains. Parmi les reproches qui lui sont adressés se trouvent la gestion du départ de Siemens, l'un des actionnaires principaux d’Areva et le positionnement haut de gamme de l'entreprise. En effet, Anne Lauvergeon se positionne contre un nucléaire « low cost, low safety ». Les accidents nucléaires de Three Mile Island, Tchernobyl puis Fukushima, ainsi que la destruction du réacteur Osirak (conséquence de l'opération militaire israélienne Opéra), la confortent dans cette volonté de rechercher la plus grande sécurité pour les réacteurs d'Areva. Ainsi, les réacteurs de génération III cherchent à réduire la probabilité d'accidents graves avec fusion du cœur et à éviter tout impact sur les populations autour des sites en cas de catastrophe. Par ailleurs, les enceintes résistent à des tirs de missiles et à des crashs d'avions de ligne, y compris de gros porteurs.
Anne Lauvergeon développe la position de pure player du groupe Areva sur le marché du sans CO2. Elle défend un modèle alliant nucléaire et énergies renouvelables. En 2010, les énergies renouvelables représentent 10% des prises de commandes d'Areva.
Le reproche principal est la faiblesse juridique du contrat signé en 2003 pour la réalisation clés en main du premier réacteur EPR, tête de série vendue à l'électricien finlandais TVO à un prix ferme et dont le surcoût (de l'ordre de 4 milliards d'euros dont une partie est liée aux six ans de retard sur le chantier d'Olkiluoto) a dû être largement provisionné par AREVA. Le contrat en question est long de 11 000 pages.
En juin 2011, quelques mois après l'accident nucléaire de Fukushima, Nicolas Sarkozy ne la reconduit pas à la direction d'Areva, contre l'avis du président du conseil de surveillance Jean-Cyril Spinetta. Cela arrive alors qu'Areva enregistre sa première perte opérationnelle (423 millions d'euros en 2010) et malgré la négociation de quatre réacteurs EPR, dont plus aucun ne sera vendu par la suite.
Son ministre de tutelle Éric Besson lui déclare un « bon bilan » et voit en son remplaçant, Luc Oursel une continuité des options stratégiques. De 2001 à 2010, le chiffre d'affaires du groupe passe de 6,8 à 9,1 milliards d'euros, soit une croissance de 30 %. En 2010, 95 % des électriciens nucléaires mondiaux sont clients d'Areva.
Luc Oursel puis Philippe Knoche, successeurs d'Anne Lauvergeon affichent des pertes estimées à 10 milliards d'euros en cinq exercices entraînant des besoins en recapitalisation. Même si la présidente n'est plus aux commandes, l'OL3, les investissements catastrophiques dans les gisements d'UraMin ou dans les énergies renouvelables, commencés sous sa présidence, sont pour beaucoup dans ce déficit opérationnel. En 2017 les actionnaires se voient proposer par l’État un prix de rachat à 4,50 euros les titres émis à 32,50 euros au moment de son départ. Le groupe Areva est démantelé en 2017.
En sus d'indemnités de fin de contrat et de non-concurrence d'un montant de 1,5 million d'euro, Anne Lauvergeon perçoit 635 262 € pour couvrir ses dépenses de mi-2011 à mi-2012 de « secrétaire, garde du corps et agent de sécurité ». Elle est par ailleurs nommé présidente d'honneur du directoire d'Areva, titre purement honorifique. Ces avantages en nature ont fait l'objet d'un redressement fiscal, le ministère des finances considérant qu'elle avait bénéficié d'avantages et rémunérations occultes. Anne Lauvergeon a contesté ce redressement en justice et a perdu devant le tribunal administratif de Paris en octobre 2019. Jugement confirmé en juin 2021 par la cour administrative d'appel de Paris qui juge que « le fisc est fondé à considérer que les sommes n’ont pas été engagées dans l’intérêt de la société Areva ». Le pourvoi en Conseil d'État a été rejeté et Anne Lauvergeon est définitivement condamnée en juin 2022.
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