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CULTURE

L'Enfant au toton
Date: 1738
Type: Rococo, portrait
Matériau :huile sur toile
Dimensions (H × L) 67 × 76 cm
No d’inventaire:RF 1705
Localisation: Salle 920

L'Enfant au toton est un tableau peint avant 1738 par Jean Siméon Chardin.

Il est réalisé à l'huile sur toile, et mesure 67 cm de haut sur 76 cm de large. Il se trouve actuellement à Paris au Musée du Louvre qui l'a acquis en 1907.

Description

Il s'agit d'un portrait de Auguste-Gabriel, fils cadet du joaillier Charles Godefroy. Il représente un enfant (de moins de dix ans ?) absorbé dans la contemplation du tournoiement d'un toton, une sorte de toupie. Le jouet tourne sur la table au bord de laquelle s'appuie l'enfant. Sur cette table, en second plan, on distingue des livres, une plume et un encrier. Du tiroir du meuble entrouvert, dépasse un porte-craie.

Il traite avant tout d'une image en dehors du temps, d'un enfant absorbé dans son monde de jeux, étranger à tout ce qui l'entoure. Le XVIIIe siècle s'est caractérisé par la découverte et l'estime du monde de l'enfance, à qui l'on a accordé grand intérêt, comme on pourra le voir un peu plus tard dans les œuvres de Jean-Jacques Rousseau. Cette scène reflète également l'éveil d'une classe sociale aux sciences, en ce début des Lumières : le décor dénote un milieu studieux, favorisant l'ascèse.

Le tableau réussit à refléter le repos et la félicité enfantine. Chardin avait choisi de demander à son modèle de se livrer à ce jeu qui le passionnait : c'était avec l'espoir — récompensé — que cet enfant agité resterait calme, le temps de faire son portrait.

La toupie semble hésiter entre les attributs des lettres et ceux des arts. L'enfant, Auguste-Gabriel Godefroy (1728-1813), deviendra contrôleur général de la Marine et collectionneur, comme son père, de tableaux dont des Chardin.


Jean Siméon Chardin
  • Naissance : 2 novembre 1699 Paris
  • Décès: 6 décembre 1779 (à 80 ans) Paris
  • Nom de naissance: Jean-Baptiste Simeon Chardin
  • Nationalité: Française
  • Formation : Académie de Saint-Luc
  • Activités : Peintre, artiste visuel
  • Période d'activité : 1724-1779
  • Conjointe: Marguerite Pouget (à partir de 1744)
  • Enfant : Pierre Jean-Baptiste Chardin
  • Genres artistiques : Nature morte, scène de genre
  • Œuvres principales :
    La Raie,
    Le Buffet,
    Les attributs de la musique

Jean Siméon Chardin né le 2 novembre 1699 à Paris, mort dans la même ville le 6 décembre 1779, est considéré comme l'un des plus grands peintres français et européens du XVIIIe siècle. Il est surtout reconnu pour ses natures mortes, ses peintures de genre et ses pastels.

Biographie

Formation

Jean Siméon Chardin naît à Paris le 2 novembre 1699, d'un père artisan, fabricant de billards. Mis à part le fait qu'il a été l'élève du peintre d’histoire Pierre-Jacques Cazes et qu'il a peut-être été conseillé par Noël Nicolas Coypel, on n'a aucune certitude à propos de sa formation avant le 6 février 1724, date à laquelle il est reçu à l'Académie de Saint-Luc avec le titre de maître – titre auquel il renonça en 1729.

D'après les frères Goncourt, Coypel aurait fait appel à Chardin pour peindre un fusil dans un tableau de chasse, ce qui lui aurait donné le goût des natures mortes.

Il est probable que deux de ses tableaux, la Raie et Le Buffet, ont été remarqués par deux membres de l'Académie royale à l'Exposition de la Jeunesse, place Dauphine, en 1728 : Louis de Boullogne, Premier peintre du Roi, et Nicolas de Largillierre un des meilleurs peintres français de natures mortes.

Ces deux tableaux sont les morceaux de réception de Chardin à l'Académie royale, et se trouvent à présent au musée du Louvre.

Entrée à l'Académie

Chardin devient ainsi peintre académicien « dans le talent des animaux et des fruits », c'est-à-dire au niveau inférieur de la hiérarchie des genres reconnus.

La Raie fait l'objet d'une admiration et d'une fascination unanimes depuis le XVIIIe siècle. Notons que le Buffet est une des premières œuvres datées de Chardin. Henri Matisse copia ces deux tableaux en 1896 ; ils se trouvent actuellement au musée Matisse du Cateau-Cambrésis.

Chose rare chez Chardin, un animal vivant figure dans la Raie comme dans le Buffet. L'artiste peint très lentement, revient sans cesse sur son travail, ce qui n'est guère compatible avec la représentation d'animaux vivants. Il est aussi probable que Chardin ait redouté que l'on compare ses œuvres à celles des deux maîtres du temps « dans le talent des animaux » : Alexandre-François Desportes (1661-1743) et Jean-Baptiste Oudry (1661-1755). Ce dernier avait précédé Chardin à l'Académie de Saint-Luc en 1708 et à l'Académie royale en 1717.

L'année 1731 est marquée par des événements particulièrement importants. Il épouse Marguerite Saintard sept ans après un contrat de mariage passé avec elle. Le père de l'artiste meurt peu après, et son fils Jean Pierre naît en novembre. Cette même année, sous la direction de Jean-Baptiste van Loo (1684-1745), il participe à la restauration des fresques de la galerie François Ier du château de Fontainebleau.

Dans son Abecedario (1749), un contemporain de Chardin, Pierre-Jean Mariette, rapporte l'anecdote suivante : Chardin faisant remarquer à un de ses amis peintres, Joseph Aved (1702-1766), qu'une somme d'argent même assez faible était toujours bonne à prendre pour un portrait commandé quand l'artiste n'était pas très connu, Aved lui aurait répondu : « Oui, si un portrait était aussi facile à faire qu'un cervelas. » L'artiste était mis au défi de peindre autre chose que des natures mortes. Mais ce n'était pas la seule raison de changer de registre. Mariette ajoute : « Ce mot fit impression sur lui et, le prenant moins comme une raillerie que comme une vérité, il fit un retour sur son talent, et plus il l'examina, plus il se persuada qu'il n'en tirerait jamais grand parti. Il craignit, et peut-être avec raison, que, ne peignant que des objets inanimés et peu intéressants, on ne se lassât bientôt de ses productions, et que, voulant essayer de peindre des animaux vivants, il ne demeurât trop au-dessous de MM. Desportes et Oudry, deux concurrents redoutables, qui avaient déjà pris les devants et dont la réputation était établie. ». Il débuta les premiers tableaux à figure en 1733.

Sa femme Marguerite meurt en 1735 et sa fille Marguerite Agnès en 1737.

Maturité

En 1744, Chardin épouse Françoise-Marguerite Pouget (1707-1791)5. Il a 45 ans, elle en a 37. Ils n'eurent pas d'enfant.

Bientôt Chardin est protégé et encouragé par un personnage important, le marquis de Vandières (1727-1781), futur marquis de Marigny et de Menars, directeur des Bâtiments de 1751 à 1773, frère de Madame de Pompadour, qui lui obtient une pension.

« Sur le rapport que j'ai fait au Roy Monsieur de vos talents et de vos Lumières, Sa Majesté vous accorde dans la distribution de ses grâces pour les Arts, une pension de 500 livres, je vous en informe avec d'autant plus de plaisir, que vous me trouverez toujours très disposé de vous obliger, dans les occasions qui pourront se présenter et qui dépendront de moi à l'avenir. »
— Lettre du 7 septembre 1752.

En 1754, son fils Jean Pierre remporte le premier prix de l'Académie et entre à l'École royale des élèves protégés. En 1757, il reçoit son brevet pour aller poursuivre ses études de peinture à Rome. Enlevé par des corsaires anglais au large de Gênes en 1762, puis libéré, Jean Pierre meurt en 1767 à Paris, à moins qu'il ne se soit suicidé à Venise.

Il est nommé trésorier de l'Académie en 1755, et deux ans après Louis XV lui accorde un petit appartement dans les Galeries du Louvre, ce dont il se montre très fier. Marigny, dont la bienveillance à l'égard de Chardin ne se démentit jamais, est à l'origine de cet honneur rendu au peintre et l'en avertit lui-même.

« Je vous apprends avec plaisir, Monsieur, que le Roy vous accorde le logement vacant aux Galeries du Louvre par le décès de S. Marteau, vos talents vous avaient mis à portée d'espérer cette grâce du Roy, je suis bien aise d'avoir pu contribuer à la faire verser sur vous. Je suis, Monsieur, Votre très humble et très obéissant serviteur. »
— Lettre du 13 mars 1757. Nature morte (vers 1760), Paris, musée du Louvre.

On imagine sans peine Chardin savourant avec délice l'annonce de cette distinction devant ses confrères, en pleine séance de l'Académie :

« M. Chardin, Conseiller, Trésorier de l'Académie, a fait part à la Compagnie de la grâce honorable que le Roy lui a faitte en lui accordant un logement aux Galeries du Louvre. La Compagnie a témoigné de l'intérest qu'elle prend à tous les avantages que son mérite et ses talents lui procurent. »
— Procès verbal de la séance du 2 avril 1757.

L'inventaire après décès des biens de Chardin révèle que cet appartement comportait quatre chambres, une salle à manger, une cuisine, un corridor, une cave et une soupente sous l'escalier.

Très occupé par ses fonctions de trésorier et par la responsabilité qui lui incombe de l'arrangement des tableaux pour le Salon de l'Académie (office dit de « tapissier » qui lui vaut des démêlés avec Oudry), Chardin se consacre à nouveau à la nature morte depuis 1748. Il expose toujours des peintures de genre, mais cesse d'en créer : ce sont, la plupart du temps, des œuvres antérieures ou des variantes.

En 1760, Quentin de La Tour avait fait, au pastel, un portrait de Chardin (Paris, musée du Louvre) qui l'avait offert à l'Académie à l'occasion de sa démission de la charge de trésorier.

« Le Secrétaire a ajouté que M. Chardin seroit flatté si l'Académie avoit agréable de lui permettre de placer en l'Académie son portrait peint au pastel par M. de la Tour (…). [L'Académie] a reçu le don de son portrait avec action de grâces, et Elle a prié M. le Moyne, ancien Directeur et M. Cochin, Secrétaire, d'aller chés M. Chardin, de la part de la Compagnie, lui réitérer ses remerciements »
— Procès verbal de la Séance du 30 juillet 1774

Le 7 janvier 1775, en présence de Chardin, ce portrait est accroché dans la salle des séances.

Conflit à l'Académie

À sa mort, Madame de Pompadour avait, en quelque sorte, légué Boucher (1703-1770) à Louis XV qui en fit son Premier peintre en 1765 et le nomma directeur de l'Académie. Chardin quant à lui est reçu à la suite d'un vote à l'unanimité, à l’Académie des sciences, belles-lettres et arts de Rouen comme associé libre.

Les attaques d'un Diderot, que sa morale bourgeoise frappe parfois de cécité esthétique, n'y font rien : Boucher est un grand peintre. Mais à la mort du « favori de la favorite », les tenants de la peinture d’histoire se déchaînent. Charles-Nicolas Cochin le jeune (1715-1790), grand ami de Chardin et jadis protégé de Marigny, en sera la victime : forcé de démissionner de sa place de secrétaire de l'Académie, il est remplacé par Jean-Baptiste Marie Pierre (1714-1789), nouveau Premier peintre du Roi.

Marigny lui fait obtenir une pension de 200 livres par an pour ses responsabilités dans l'organisation du Salon du Louvre et l'accrochage des tableaux. « J'ai obtenu du Roy, pour vous, Monsieur, 200 livres par an en considération des soins et peines que vous prené lors de l'Exposition des tableaux du Louvre, Regardé ce petit avantage comme un témoignage du désir que j'ay de vous obliger. », et en 1769, les époux Chardin reçoivent une rente viagère annuelle de 2 000 livres exempte d'impôts – rente augmentée de 400 livres l'année suivante.

Louis XV meurt en 1774, mais depuis dix ans déjà, Mme de Pompadour n'était plus à ses côtés pour orienter ses goûts. Cette même année, le comte d'Angivillier succède au frère de la favorite, protectrice des arts et des lettres, comme directeur et ordonnateur des Bâtiments du Roi. Les relations entre Chardin et lui sont extrêmement différentes de celles que le peintre entretenait avec le frère de Mme de Pompadour. Il est même possible de dire que Chardin doit faire face à un mépris teinté d'hostilité. Ainsi, lorsqu'en 1778, il exprime auprès de d'Angivillier son désir de percevoir les honoraires jadis affectés à sa charge de trésorier de l'Académie, il se heurte au dédain du comte.

C'est l'époque où la peinture de « grand genre », soutenue par d'Angivillier et Pierre, se tourne vers le néo-classicisme, mais Chardin souffre finalement assez peu de ces changements, et de toute façon, ses détracteurs ne parviennent pas à entraîner une désaffection du public cultivé. Chardin est à la fois conscient de la haute maîtrise dont témoigne son art, et du peu d'estime que l'on accorde aux peintres de nature morte :

« Si j'osais, en finissant, Monsieur le Comte après avoir parlé des intérêts du Trésorier, stipuler aussi ceux du peintre, je prendrois la liberté d'observer au Protecteur des Arts que cette faveur rejailliroit en même tems sur un artiste qui se plaît à convenir à la vérité que dans le courant de ses travaux, les bienfaits de sa Majesté l'ont aidé à soutenir la peinture avec honneur, mais qui a malheureusement éprouvé que les études longues et opiniâtres qu'exige la nature, ne le conduisoient point à la fortune. Si cette capricieuse m'a refusé ses faveurs, Elle n'a pu me décourager, ni m'enlever l'agrément du travail. Mes infirmités m'ont empêché de continuer à peindre à l'huile, je me suis rejeté sur le pastel qui m'a fait recueillir encore quelques fleurs, si j'ose m'en rapporter à l'indulgence du public. Vous même, Monsieur le Comte, avez paru m'accorder votre suffrage aux précédens Salons, avant que vous en fussiez le premier ordonnateur et vous m'avez encouragé dans cette carrière dans laquelle je me suis montré plus de 40 années. »

— Lettre du 28 juin 1778, fautivement datée par Chardin du 21 juin.

Autoportrait à l'abat-jour et aux lunettes (1775), pastel, Paris, musée du Louvre.

Dans sa réponse, d'Angivillier fait remarquer que Chardin percevait une somme déjà plus importante que les autres « officiers » (ceux qui ont un office, c'est-à-dire une charge, un emploi) dans le cadre de l'Académie. Mais surtout il reprend à son compte l'idée, qui n'avait presque plus cours chez les véritables amateurs d'art, que la peinture de natures mortes demande moins d'études et de travail que la peinture d’histoire. En conséquence, il considère que ce fut une erreur de rémunérer aussi largement Chardin, qui devrait s'estimer bien heureux que le roi lui ait attribué un logement.

« Si vos ouvrages prouvent les soins qui vous ont mérité une réputation dans un genre, vous dévés sentir que l'on doit la même justice à vos confrères, et vous devés convenir qu'à travail égal vos études n'ont jamais comporté les frais aussi dispendieux ny des pertes de temps aussi considérables que celles de MM. Vos confrères qui ont suivi les grands genres. L'on peut même leur savoir gré du désintéressement, car si leurs prétentions se montoient en raison de leur fatigue, l'administration ne seroit pas en mesure de les satisfaire. »
— Lettre du 21 juillet 1778.

À aucun moment d'Angivillier ne suppose que l'absence de revendications de la part des autres membres de l'Académie puisse être simplement due à une reconnaissance du génie de Chardin dont les œuvres transcendant l'archaïque classement en « genres ». Au début des années 1770 Chardin se consacre au pastel, ce qu'il explique notamment par des raisons de santé, dans une correspondance avec le comte d'Angivillier.

Fin de carrière

En 1772 Chardin commence à être gravement malade. Il souffre probablement de ce que l'on appelait « la maladie de la pierre », c'est-à-dire de coliques néphrétiques. À cause de l'âge et de la maladie, le 30 juillet 1774, il démissionne de sa charge de trésorier de l'Académie et meurt le 6 décembre 1779, à 9 heures du matin à Paris dans son appartement des galeries du Louvre. Il est inhumé dans l'église voisine Saint-Germain-l'Auxerrois.

Par l'inventaire après décès, nous savons que le ménage Chardin était à l'aise. Toutefois, Madame Chardin demande une part de réversion des rentes de son mari. On ne peut, cette fois, reprocher à d'Angivillier son refus :

« Mais quoiqu'il y ait eu, en effet, quelques exemples de veuves d'artistes qui ont obtenu des pensions après la mort de leurs maris, je trouve que c'étoient des ou des veuves d'artistes qui étoient morts spécialement au service du roy, ou quelques-unes qui, par la suite de la mort de leur mari, restoient dans un état de détresse telle que l'honneur des arts de l'Académie exigeoit en quelque sorte que l'on vint à leur secours. M. Chardin s'est fait une réputation méritée et dans le public et dans l'Académie, mais n'a pas eu le premier avantage, parce que la nature de son talent, quoique éminent, ne le comportoit pas. Je suis assuré que le second cas ne vous est pas applicable, et votre délicatese refuseroit sûrement un bienfait du roi à ce titre. »

Madame Chardin se retire chez un membre de sa famille. Elle meurt le 15 mai 1791.

L'Œuvre

Les premiers tableaux à figures de Chardin ont été peints en 1733 au plus tard. Chardin se rend compte qu'il ne peut pas vendre indéfiniment des natures mortes. Il lui faut devenir maître dans un autre genre pictural.

Chardin se consacre donc aux scènes de genre, ce qui n'est pas sans difficultés pour lui. Les amateurs de peinture du XVIIIe siècle prisent, plus que tout, l'imagination. Or, c'est la faculté qui faisait le plus défaut à Chardin. Il a du mal à composer ses tableaux, et c'est ce qui explique en partie que lorsqu'il trouve, après de longues et patientes recherches, une structure qui lui convient, il la reproduit dans plusieurs œuvres. Cette période de la vie de Chardin s'ouvre sur deux pièces maîtresses :
Une Femme occupée à cacheter une lettre (146 × 147 cm, Potsdam, palais de Sanssouci. Ce tableau est exposé place Dauphine en 1734, et le Mercure de France le décrit ainsi : « Le plus grand représente une jeune personne qui attend avec impatience qu'on lui donne de la lumière pour cacheter une lettre, les figures sont grandes comme nature. »
Une Femme tirant de l'eau à la fontaine, dit La Fontaine, ou encore La Femme à la fontaine (38 × 43 cm, Stockholm, Nationalmuseum). Comme dans le tableau précédent, une ouverture dans le mur du fond, à droite, apporte de la clarté et montre une scène secondaire. Cependant aucun rapprochement n'est possible avec les tableaux hollandais : les intérieurs de Chardin sont fermés et les fenêtres sont très rares.

Chardin expose ce dernier tableau au Salon du Louvre en 1737, avec la Blanchisseuse de Stockholm, La Fillette au volant en collection particulière et Le Château de cartes de Washington. Puis les expositions se succéderont presque tous les ans jusqu'à sa mort.

Particulièrement dans La Fillette au volant, Chardin ne veut pas donner d'impression de mouvement. Cette immobilité, par contre, semble naturelle dans Le Château de cartes, du fait même du thème qui convient si bien à Chardin qu'il effectue quatre compositions avec peu de variantes sur ce sujet.

Présenté à Louis XV à Versailles en 1740 par Philibert Orry, surintendant des Bâtiments du Roi et contrôleur général des Finances, Chardin offre deux tableaux au souverain La Mère laborieuse et Le Bénédicité. Ce fut la seule rencontre de Chardin avec Louis XV.

Chardin se consacre à nouveau à la nature morte depuis 1748. Il expose toujours des peintures de genre, mais cesse d'en créer : ce sont, la plupart du temps, des œuvres antérieures ou des variantes.

Un canard col-vert attaché à la muraille et une bigarade, collection privée, Paris

Il est protégé et encouragé par le marquis de Vandières (1727-1781) frère de Madame de Pompadour, qui possédait, notamment, l'Écureuse dit aussi la Récureuse (1738, 45,4 × 37 cm, Glasgow, Hunterian Museum and Art Gallery), et la Serinette dit aussi Dame variant ses amusements (50 × 43,5 cm, 1751, Paris, collection privée).

Les natures mortes qu'il expose dans cette période sont assez différentes des premières. Les sujets en sont très variés : gibier, fruits, bouquets de fleurs, pots, bocaux, verres, etc. Chardin semble s'intéresser davantage aux volumes et à la composition qu'à un vérisme soucieux du détail, voire des effets de trompe-l'œil. Les couleurs sont moins empâtées. Il est plus attentif aux reflets, à la lumière : il travaille parfois à trois tableaux à la fois devant les mêmes objets, pour capter la lumière du matin, du milieu de journée et de l'après-midi.

Durant cette période le style de Chardin évolue :

« En un premier temps,l'artiste peint par larges touches qu'il dispose côte à côte sans les fondre entre elles ; après avoir pendant quelques années, vers 1755-1757, multiplié et miniaturisé les objets qu'il éloigne du spectateur, tenté d'organiser des compositions plus ambitieuses, il accordera une place de plus en plus grande aux reflets, aux transparences, au « fondu »; de plus en plus ce sera l'effet d'ensemble qui préoccupera l'artiste, une vision synthétique qui fera surgir d'une pénombre mystérieuse objets et fruits, résumés dans leur permanence. »

Retenons La Table d'office, dit aussi Partie de dessert avec pâté, fruits, pot à oille11 et Huilier (38 × 46 cm, Paris, musée du Louvre). Chardin propose ici une composition horizontale dans laquelle il multiplie des couleurs et les formes géométriques. Au musée des beaux-arts de Carcassonne, se trouve une nature morte de même titre, mêmes dimensions, avec les mêmes objets.

Il peint aussi des compositions plus sobres, inscrites dans une figure ovale, avec des fruits, et où l'accent porte sur les reflets, les jeux complexes de la lumière. Par exemple, le Bocal d'abricots (Ovale 57 × 51 cm, Toronto, Musée des beaux-arts de l'Ontario), et le Melon entamé (Ovale 57 × 52 cm, Paris, collection particulière.

Il faut rappeler enfin Le Bocal d'olives (7I × 98 cm, Paris, musée du Louvre) dont Diderot disait qu'il fallait commencer par le copier pour apprendre le métier de peintre. Mais le mieux est de laisser la parole au philosophe :

« C'est que ce vase de porcelaine est de la porcelaine ; c'est que ces olives sont vraiment séparées de l'œil par l'eau dans laquelle elles nagent, c'est qu'il n'y a qu'à prendre ces biscuits et les manger, cette bigarade l'ouvrir et la presser, ce verre de vin et le boire, ces fruits et les peler, ce pâté et y mettre le couteau.
C'est celui-ci qui entend l'harmonie des couleurs et des reflets. Ô Chardin ! Ce n'est pas du blanc, du rouge, du noir que tu broies sur ta palette : c'est la substance même des objets, c'est l'air et la lumière que tu prends à la pointe de ton pinceau et que tu attaches sur la toile.
(…) On n'entend rien à cette magie. Ce sont des couches épaisses de couleur appliquées les unes aux autres et dont l'effet transpire de dessous en dessus. D'autres fois, on dirait que c'est une vapeur qu'on a soufflée sur la toile ; ailleurs une écume légère qu'on y a jetée. Rubens, Berghem, Greuze, Loutherbourg vous expliqueraient ce faire bien mieux que moi ; tous en feront sentir l'effet à vos yeux. Approchez-vous, tout se brouille, s'aplatit et disparaît ; éloignez-vous, tout se crée et se reproduit.
(…) Ah ! Mon ami, crachez sur le rideau d'Apelle et sur les raisins de Zeuxis. On trompe sans peine un artiste impatient et les animaux sont mauvais juges en peinture. N'avons-nous pas vu les oiseaux du jardin du Roi se casser la tête contre la plus mauvaise des perspectives ? Mais c'est vous, c'est moi que Chardin trompera quand il voudra. »

Le temps des pastels

Il faut faire une place à part au pastel dans l'œuvre de Chardin. Cet art, déjà pratiqué par Léonard de Vinci et Hans Holbein, prend son essor au XVIe siècle, notamment avec les portraits de la famille royale par Quentin de La Tour (1704-1788). Peut-être est-ce lui qui a donné le goût de cette technique à Chardin, son ami.

Chardin doit faire face à un mépris teinté d'hostilité du nouveau directeur des Bâtiments du Roi, le comte d'Angivillier. C'est dans ce contexte, et malgré ses ennemis, que Chardin s'impose auprès des amateurs par ses pastels, ultimes joyaux de son art. Aux Salons de 1771, 1773, 1775, 1777, 1779 il expose des autoportraits, des portraits de sa femme, des têtes de vieillards, des têtes d'enfants, des têtes d'expression, et une copie de Rembrandt.

Chardin connaît le succès avec ces dessins dans lesquels il fait preuve de bien plus de maîtrise que dans ses quelques portraits à l'huile. « C'est un genre auquel on ne l'avait point vu encore s'exercer, et que, dans ses coups d'essais, il porte au plus haut degré », écrit un critique dans l'Année littéraire, en 1771.

Déjà les connaisseurs avaient remarqué que, dans ses peintures à l'huile, l'artiste juxtaposait les pigments plutôt qu'il ne les mélangeait sur la palette.

Ainsi, l'abbé Guillaume-Thomas-François Raynal (1713-1796, dans sa Correspondance littéraire, écrit en 1750 : « Il place ses couleurs l'une après l'autre sans presque les mêler de sorte que son ouvrage ressemble un peu à la mosaïque de pièces de rapport, comme la tapisserie faite à l'aiguille qu'on appelle point carré. »

Le pastel permet à Chardin d'approfondir cette technique. Quant aux couleurs, elles s'imposent à l'artiste dans leur relation.

En effet, le problème n'est pas de savoir s'il y a du bleu ou du vert sur tel visage réel, mais s'il en faut dans le portrait. Un demi-siècle avant que les théories d'Eugène Chevreul (1786-1899) n'influencent les impressionnistes, il développe dans ses pastels l'art du mélange optique des teintes, et de la touche hachurée qui accroche la lumière. Par-dessus ses bésicles, dans son Autoportrait de 1771 (Paris, musée du Louvre), le doux et malicieux regard du « Bonhomme Chardin » invite l'amateur, non pas à scruter l'âme du peintre, mais à revenir sur l'œuvre même, pour observer, étudier sans cesse les audaces picturales qui confèrent une vie fascinante à son visage.

« Des trois couleurs primitives se forment les trois binaires. Si au ton binaire vous ajoutez le ton primitif qui lui est opposé, vous l'annihilez, c'est-à-dire vous en produisez la demi-teinte nécessaire. De là, les ombres vertes dans le rouge. La tête des deux petits paysans. Celui qui était jaune avait des ombres violettes ; celui qui était le plus sanguin et le plus rouge, des ombres vertes. »
Chardin aurait pu écrire, s'il avait été théoricien, ces notes extraites des Carnets de voyage au Maroc de Delacroix (1832)… comme il aurait pu lui aussi déclarer que « l'ennemi de toute peinture est le gris ».

Au Salon du Louvre du 25 août 1779, Chardin expose ses derniers pastels. Mesdames – ainsi nommait-on les filles de Louis XV – connaissaient et appréciaient Chardin : pour leur demeure de Bellevue, il avait peint en 1761 deux dessus de portes, Les Instruments de la musique guerrière, et Les Instruments de la musique civile. L'une d'elles, Mme Victoire, se laisse tenter par un portrait de Jacquet (c'est-à-dire de jeune laquais):

« On a beaucoup parlé de la richesse du dernier salon. La reine et toute la famille royale voulurent le voir et en marquèrent leur satisfaction. Un des morceaux qui fit le plus de plaisir à Mme Victoire, dont le suffrage éclairé fait l'ambition des meilleurs artistes, fut un petit tableau de M. Chardin représentant un petit Jacquet. Elle fut si frappée de la vérité de cette figure que dès le lendemain, cette princesse envoya au peintre, par M. le comte d'Affry, une boîte en or, comme un témoignage du cas qu'elle faisait de ses talents. »

Sans doute Mme Victoire a-t-elle voulu acheter le pastel ; Chardin le lui a offert, et le lendemain elle lui a fait parvenir une tabatière en or.

La Diffusion des œuvres

L'œuvre de Chardin a été largement diffusée de son vivant auprès de nombreux collectionneurs. La liste des différents propriétaires de ses tableaux, très loin d'être exhaustive, n'est ici présente que pour donner un aperçu de la très haute estime dans laquelle Chardin était tenu par ses contemporains.

Parmi les princes, on peut citer Louise-Ulrique de Prusse, reine de Suède, Louis XV, Caroline-Louise de Hesse-Darmstadt, Catherine II de Russie, Frédéric II de Prusse et Joseph-Wenceslas (prince de Liechtenstein). Dans la noblesse Pierre-Louis Eveillard, marquis de Livois et le Chevalier Antoine de Laroque possédaient plusieurs tableaux.

Reconnu également par ses pairs, plusieurs artistes firent l'acquisition de ses œuvres, tels que son ami Joseph Aved dont il fit le portrait, le sculpteur Jean-Baptiste Pigalle, le peintre et graveur Jacques Augustin de Silvestre, le directeur du Musée Napoléon Vivant Denon et le peintre Jean-Baptiste Marie Pierre.
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